L'ex-guide libyen a dû ricaner dans sa tombe inconnue du grand public. Alors qu'on la croyait enterrée après l'assassinat de Kadhafi, la CEN-SAD (Communauté des Etats sahélo-sahariens) a fait son retour au moment où, ironie de l'histoire, Tripoli célébrait dans l'inquiétude sécuritaire la plus totale l'an II de son histoire post-Kadhafi ! C'est la résurrection du “machin de Kadhafi", créé en février 1998 à l'issue d'un sommet à Tripoli, qui, parti de 5 pays plus ou moins sahéliens, a fini par en compter 28, dont bon nombre n'étaient ni sahéliens ni sahariens, appâtés par les pétrodollars du fantasque et mégalomaniaque guide qui se rêvait roi du Continent noir. La CEN-SAD n'a d'ailleurs pas fait long feu. Mort-née, voilà que le rassemblement revit ! Les dessous de sa résurrection ne sont pas encore élucidés, quelques pistes peuvent néanmoins en livrer au moins un aboutissement : compliquer la problématique malienne en introduisant un nouveau facteur sur un terrain déjà suffisamment encombré. Comme si l'Onu, l'UA, la Cédéao, la France, les Etats-unis, des pays de l'Union européenne, des pays du Golfe n'ont pas suffi. D'abord, qui a été à la tête de la cérémonie de la réhabilitation ? N'Djamena devenu, le week-end dernier, la capitale de la CEN-SAD, sous la houlette d'Idriss Déby Itno, contre qui Kadhafi avait, un temps, jeté ses légions islamo-touareg, et n'eut été l'intervention énergique de Paris il aurait disparu. Dix chefs d'Etat et 14 chefs de gouvernement des 28 pays que compte l'organisation se sont retrouvés dans la capitale tchadienne pour adopter une nouvelle charte, prévoyant secrétariat permanent et deux nouveaux organes : le Conseil permanent de paix et de sécurité et le Conseil de développement durable ! N'est-il pas paradoxal que de pérenniser l'héritage d'un guide que l'écrasante majorité du CEN-SAD avait superbement ignoré lorsque vint son tour de subir le Printemps arabe ? Pourquoi faire revivre une institution sous-régionale, dont il était admis que la seule utilité était de servir les ambitions démesurées de Kadhafi ? Une institution dont les déboires puis la chute de Kadhafi avaient sonné le glas. Une analyse sommaire montre que parmi les hôtes de Déby Itno, la plupart nourrissent, d'une façon ou d'une autre, un rapport privilégié avec la Françafrique, sinon avec l'Elysée. Quoi qu'il en soit, la France de François Hollande a retrouvé une grande marge de manœuvre depuis l'opération Serval, menée au pas de charge dans le Nord-Mali pour y chasser les djihadistes, lesquels, il est vrai, menacent tout le Sahara sahélien. Mais pourquoi la CEN-SAD, alors que la Cédéao est à l'œuvre ? Si Paris cherche à faire jouer au président du Tchad un rôle de leadership régional, il ne s'y prendrait pas mieux. Dans cette perspective, le sommet de N'Djamena constitue un bon coup pour Déby Itno dont les 2000 soldats au Mali pour assister les 4000 soldats français dans leur progression, quatre fois plus que chacun des pays membres de la Cédéao, sont constamment loués par les autorités françaises. Le président de la Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara, était parmi les convives du sommet de N'Djamena, alors qu'il peine à mettre en œuvre la feuille de route de la Cédéao dont il assume la présidence et qui a été adoubée par l'Onu et l'UA. Parmi les participants, il y avait également, outre le président malien Dioncounda Traoré, dont le pays illustre les défis à relever dans l'espace sahélo-saharien, ses homologues béninois, burkinabé, nigérien, mauritanien, centrafricain ou encore djiboutien. Si à aucun moment le nom du colonel Kadhafi, le géniteur de la CEN-SAD, n'a été prononcé, la Libye était représentée par son Premier ministre. Ce qui rend plus trouble encore l'opportunité et l'utilité de la CEN-SAD, c'est sa résolution de se doter d'un instrument de “prévention et de règlement des conflits". Cela ne vient-il pas contrarier, en l'alourdissant, le mécanisme existant à l'échelle du continent, au cœur de la Commission de l'UA ? D. B