Ce qui devait être un rassemblement “pacifique sans aucun message ni revendication politique", en signe de solidarité avec les familles des deux enfants assassinés, a vite dérapé. La ville de Constantine a vécu, hier, une journée particulièrement tendue. Dès les premières heures de la matinée, la rumeur se répand sur la tenue d'une marche blanche au centre-ville. Avant 10 heures, l'université, les établissements scolaires et les administrations se vident, les commerçants baissent les rideaux, les transports en commun suspendent leur activité. Un impressionnant dispositif sécuritaire encadre la cour ainsi que le tribunal du centre-ville, les commissariats, les places publiques ainsi que les alentours du cabinet du wali. Très vite, des attroupements se forment et s'improvisent un peu partout, des jeunes issus des banlieues et des quartiers populaires affluent par centaines, avec pour seul mot d'ordre : l'application de la peine de mort contre les assassins de Haroun et Brahim. Soudain, c'est la panique. Tous les commerces ont fermé tandis que les employés des administrations, affolés, se dépêchaient de rentrer chez eux, on parle de l'intrusion de casseurs venus des faubourgs et des quartiers populaires. Ce qui devait être au départ un rassemblement “pacifique sans aucun message ni revendication politique", en signe de solidarité avec les familles des deux enfants, Brahim et Haroun, enlevés et assassinés, la semaine dernière, à la nouvelle ville Ali-Mendjeli, a vite dérapé. Quelques fauteurs de troubles sont venus mettre leur grain de sel, alors que d'autres ont fait dans la récupération, ce qui a provoqué de violents affrontements entre les manifestants et les forces de l'ordre qui ont dû, vu la gravité de la situation, faire usage de gaz lacrymogène pour disperser la foule. Une vingtaine de personnes a été arrêtée, alors qu'on dénombre plusieurs blessés des deux côtés. Le premier cortège de manifestants arrive et se positionne devant la cour de Constantine. Des centaines de jeunes veulent se venger et réclament haut et fort l'application du “kissas" (la peine de mort), avant de converger ensuite vers le cabinet du wali. L'atmosphère est électrique. Pourtant, les familles et les proches des deux enfants Haroun et Brahim se sont formellement opposés à l'organisation d'une quelconque marche ou d'un attroupement qui pourraient mener à un débordement. Après l'annonce, vendredi dernier, de la tenue d'une journée de deuil national pour hier dimanche, les proches et les voisins des familles des victimes ont immédiatement averti la population via des tracts, qu'ils ont distribués et collés un peu partout à Ali-Mendjeli, qu'ils ne sont en rien dans l'organisation de marches populaires. Ils ont aussi appelé la population à respecter le deuil et éviter toute manœuvre pouvant se transformer en émeutes. Hier, les jeunes excités des cités Daksi, Ziadia, El-Menchar ou Ouinet El-Foul faisaient certes dans l'improvisation — on comptait d'ailleurs beaucoup de mineurs parmi eux — mais selon toute vraisemblance, ils étaient aussi manipulés. Ainsi, nous avons pu constater que des hommes barbus étaient au-devant des cortèges des manifestations, d'autres encadraient discrètement ces jeunes déchaînés. Devant le cabinet du wali, les manifestants ont brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire “La charia, la solution", “Avec l'application de la peine de mort", alors que d'autres scandaient des slogans tels que “Daoula islamiya" ou encore “El-idam oula el-harb" (la peine de mort, sinon la guerre). Les manifestants, de plus en plus excités, se sont scindés en plusieurs groupes, certains sont redescendus en direction de la cour de justice (La Brèche), d'autres se sont rassemblés devant le tribunal de Belouizdad (ex-Saint-Jean). La tension est montée d'un cran lorsque les fauteurs de troubles ont commencé à arracher des panneaux publicitaires et à s'en prendre aux forces de l'ordre. Ces derniers ont vite riposté en lançant du gaz lacrymogène pour disperser la foule et ont procédé à l'arrestation d'une vingtaine d'individus dont certains étaient armés de gourdins et de couteaux. Les accrochages entre la police et les manifestants se sont étendus jusqu'aux vieux quartiers de la ville (Casbah, rue du 19-Juin). Des lycéens et des jeunes ont également tenté de barrer des routes un peu partout dans la ville, c'était notamment le cas près du siège de la wilaya sis à Daksi. À l'inverse des troubles qu'a vécus le centre-ville de Constantine, à Ali-Mendjeli, les sages et les proches des familles des deux enfants ont empêché la tenue de rassemblements. Des tracts ont été distribués la veille (samedi) par les habitants de l'UV-18 appelant les gens à ne pas prendre part aux manifestations et aux rassemblements. Ce communiqué intitulé “Non à la marche" précise également que les deux familles ne sont impliquées dans aucun acte pouvant conduire à des émeutes. En tout cas, quelques instants après l'émeute au centre-ville, la population a vivement réagi contre ces incidents. Beaucoup estimaient que ces casseurs sont motivés par autre chose que de rendre hommage aux deux enfants. Il faut également signaler que dès la matinée, dans certains faubourgs de Constantine, des jeunes ont menacé les conducteurs de bus, les commerçants et les travailleurs de représailles si jamais ils ne faisaient pas grève. À l'heure où nous mettons sous presse, la ville est toujours sous tension, les forces antiémeutes sont déployées partout, des renforts de CRS sont même venus de la wilaya de Sétif. D B.