S'il y a bien un sujet sur lequel s'accordent les hommes et les femmes politiques de tous bords, c'est que de nos jours, on ne gagne plus une élection présidentielle sans une équipe de communication professionnelle et une stratégie implacable. Sous toutes les latitudes, quel que soit le contexte, cette loi s'est imposée au fil des décennies. Y compris en Afrique (élection du président Ouatara), la preuve est faite, élection après élection, que les campagnes électorales se jouent de façon bien différente des pratiques algériennes. Dans un peu moins d'un an maintenant, le corps électoral algérien sera de nouveau convoqué pour élire ou réélire un candidat à la magistrature suprême. Déjà, des candidats se déclarent... Ex-ministres, ex-Premiers ministres, ex-chefs de parti... Qu'ils aient une revanche à prendre sur l'histoire, la leur ou la récente, ou par une envie sincère de briguer un mandat utile au développement de notre pays, la campagne de 2014 promet l'arrivée en nombre de ces “ex-" devenus alors candidats. Technocrates, intellectuels, hauts fonctionnaires, bien que le parcours de chacun soit différent, il est fort à parier qu'une fois encore, ils auront en commun leur âge (65 ans pour les plus jeunes) et dans leur expérience, une liaison intime avec ce qui est communément appelé “le système". Evidemment, dans toute grande élection, l'expérience du pouvoir est souvent un gage de connaissance et de maîtrise des arcanes de l'Etat, à ceci près qu'en Algérie aujourd'hui, la rupture entre le citoyen et les institutions est telle qu'elle annule, a priori, toute crédibilité aux “ex-". Ils devront alors raconter leurs faits d'armes les plus secrets pour expliquer leur rupture à un moment ou à un autre avec ce système. Tous ne le pourront pas. Cette guerre des “ex-" montre aussi à quel point, en 2013, aucune génération n'est venue s'imposer à celle de 1962 dans la classe politique. C'est aussi pour cela que le clivage société/Etat se renforce. En revisionnant le discours d'investiture de Bouteflika de 2009, l'assistance présente au Palais des nations arrivait à faire mentir toutes nos statistiques démographiques. Il y avait là majoritairement des hommes, vieux et moustachus. Pour redorer leur blason, nos “ex-" devront vite montrer qu'ils s'entourent d'une équipe jeune, synonyme de dynamisme. “Web 2.0 et toujours cette bonne vieille politique" Dans ce monde qui bouge et qui se développe, l'Algérien n'est pas totalement au banc des nouvelles technologies. Il a ainsi trouvé le moyen et la matière pour développer un intérêt pour la vie politique de pays étrangers plus que pour le sien. Via Twitter, Facebook, les chaînes d'infos en continue, ou la possibilité d'accéder à n'importe quel journal dans le monde, il a ainsi vibré au “Yes we can" d'Obama ou “Ensemble, tout devient possible" de Sarkozy. C'est ainsi que les Algériens participent pleinement, autant que les Togolais ou les Suédois, à faire émerger une opinion publique internationale. Le candidat à une élection ne sera populaire que s'il arrive alors à propulser sa notoriété au-delà des frontières de son pays. Pour s'exprimer sur tous les médias, il y a des codes qu'il faut respecter. Quelques-uns de nos candidats se lancent sur la Toile et encouragent discrètement leurs partisans à développer des blogs ou des sites Web pour les présenter. Quel désastre ! Dans le fond comme dans la forme, l'internaute se voit offrir l'expérience du retour à l'ère préhistorique du Web. Evidemment, en les interrogeant un à un, les candidats ou leur entourage feront preuve de beaucoup d'ingéniosité pour répondre à ces objections, quitte à engager un bras de fer contre le bon sens. La réalité est double : un candidat qui ne se soucie pas de sa e-réputation, fond et forme, est un candidat qui perd la bataille avant même de l'avoir menée. Le Web est aujourd'hui plus fort et plus puissant que le total des meetings qu'il fera et des kermesses qu'il organisera. Plus important, un candidat qui ignore les moyens actuels pour mener campagne ne peut dire ou proclamer qu'il sera le président de la modernité. Il est déjà lui-même hors du temps. Il fut un temps où il suffisait de croiser les trésoriers des zaouïas du pays pour se faire élire. Ce temps est passé. Place à Internet et au marketing-direct pour se faire élire. Raconter une histoire Ronald Reagan venait tout droit d'Hollywood, son métier d'acteur avait fait naître en lui le sens des histoires. François Mitterrand était allé chercher par deux fois Jacques Pilhan, spécialiste des études qualitatives. Alastair Campbell, ancien journaliste converti à la communication, avait complètement fabriqué Tony Blair mais c'est, sans doute, George W. Bush qui aura le plus marqué l'histoire de la communication politique. Ce qu'ont en commun ces hommes politiques, c'est donc d'avoir su s'entourer de conseillers en communication. Ce qu'ont en commun ces “spin-doctors" est de savoir raconter des histoire dont leur protégé devient le héros. Feu le président Boudiaf a su, par son histoire, son franc-parler et le contexte de son retour, s'imposer comme un héros. D'emblée, son bilan de l'Algérie d'alors sonnait juste. L'ambition qu'il affichait pour l'avenir de l'Algérie avait fini par modifier jusqu'au comportement des Algériens dans leur quotidien. En 1998, quand le président Bouteflika n'en était qu'à sa première candidature, son style d'alors, ses discours et ses engagements étaient emprunts d'histoires vécues. Il nous racontait aussi un avenir heureux, paisible et brillant sur le plan économique. Au-delà de la mécanique politique qui l'a fait élire, il était le seul candidat de l'époque à avoir autant mis en scène sa candidature et cela lui a valu sa popularité. Il a, depuis, perdu la recette. Il n'a jamais plus pu ou su refaire une telle campagne. Aujourd'hui, il semble que les prétendants au poste ne s'inquiètent que trop peu de ce qu'ils représentent aux yeux de leurs concitoyens. Ils devraient pour cela, en plus d'organiser un entourage compétent, investir très rapidement dans des “focus-groupe" pour imaginer, avant que le rideau ne se lève, la pertinence du scénario qu'ils souhaitent écrire. Cette histoire sera la leur et celle de la rencontre avec le peuple. Cette histoire sera plus qu'un programme politique ou économique car elle portera sur le rêve algérien qu'ils proposent de construire. Le scénario devra non seulement coller aux attentes mais son exécution devra correspondre à ce qui se fait par ailleurs dans le monde. C'est à minima ce qu'ils doivent faire pour ceux qui iront les élire : les mettre au niveau. Portrait-robot du candidat élu en 2014 L'Algérie doit-elle rester le pays que l'on connaît ou cela devra-t-il changer un jour ? La classe politique devra bien se régénérer un jour. En attendant, plus question que l'actuelle fasse la sourde oreille aux attentes timorées de la société. Il n'en sera pas toujours ainsi. Celui qui fédérera l'opinion, qui la convaincra de son projet, qui emportera l'adhésion de tous et qui transformera sans heurts et sans douleur notre pays sera le candidat qui : - défendra un programme, voire plus, telle une ambition, une incarnation ; - illustrera par des mots simples et des images fortes les vraies ruptures qu'il souhaite instaurer ; - construira un véritable capital d'images, iconiques, symboliques ; - réussira la constitution d'une équipe, jeunes, compétente, qui fera preuve d'audace ; - comprendra très vite les enjeux du Web pour ainsi constituer un réel staff, poste essentiel, prioritaire ; - maîtrisera la technique des médias, l'équivalent des échauffements quotidiens des sportifs, pour une immersion dans la discipline de la candidature ; - commandera des panels pour tester en temps réel les mouvements de l'opinion, son adhésion ou son rejet ; - pour renforcer sa proximité, il sera un homme de terrain et ainsi montrer qu'il maîtrise la topographie de l'action ; - il travaillera sa préparation physique comme pour installer un style qui le valorisera ; - il sera aussi soucieux de sa sécurité et de sa santé. Cet homme est peut-être déclaré ou travaille-t-il encore en secret pour surprendre ses concurrents ? Peut-être aussi cette analyse n'engagera que ses lecteurs. En tout état de cause, le candidat élu sans la mise en œuvre de telles actions ne pourra, sans doute jamais, irradier la nation de la certitude qu'il sera un bon président. W. H. (*) Waël Hasnaoui est spécialiste en marketing et communication. Après avoir occupé des fonctions en marketing en Algérie, l'auteur a rejoint un cabinet de conseil en développement spécialisé dans les marchés émergents. Il a aujourd'hui en charge le développement du marché ethnique pour un grand groupe agroalimentaire européen.