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La bataille de Tazmalt
La révocation des “indus élus” locaux a déclenché l'émeute
Publié dans Liberté le 26 - 01 - 2004

La localité, à majorité ffs, est en ébullition depuis samedi. Reportage au cœur d'une cité en colère.
Depuis l'annonce officielle de la révocation de ceux que l'on ne désigne plus que sous le vocable peu flatteur d'“indus élus”, le siège du FFS à Tazmalt ressemble à une marmite en ébullition. Pour preuve, ses instances se déclarent en réunion permanente et les militants, qui font d'incessantes allées et venues, ne décolèrent pas contre la décision du Chef du gouvernement, Ouyahia, qu'ils gratifient au passage de tous les noms d'oiseaux : “C'est la loi de la jungle !”, “C'est un putsch !”, “Nous allons nous battre !”, lancent-ils, pour ne reprendre que les déclarations les plus politiquement correctes. L'hamid, qui se définit comme “simple citoyen” et non militant ou sympathisant du FFS déclare : “Ils ont voulu nous enlever le maire, nous leur avons enlevé le chef de daïra !” Allusion faite au départ précipité de ce commis de l'Etat qui a dû évacuer sous escorte policière le siège de la daïra que des émeutiers tentaient de brûler. Au milieu de ce brouhaha contestataire émerge le crâne dégarni de Khaled Tazaghart, l'un des jeunes loups les plus connus du parti d'Aït Ahmed et cerveau de la protesta. Lui non plus ne mâche pas ses mots : “Il est hors de question qu'on sorte de l'APC. C'est la population qui nous a élus et on a fait jusque-là un très bon travail. Sauf à dissoudre toutes les APC à l'échelle nationale, nous refusons la singularisation de la Kabylie. Sinon, qu'ils sachent que nous n'accepterons jamais le départ de nos élus et advienne que pourra !”
Tous les militants se disent mobilisés et prêts à en découdre avec quiconque voudra déloger leur maire mais quand on les interroge pour savoir s'ils sont derrière la fermeture de la RN 26 et le saccage du siège de la daïra, tous déclarent qu'ils n'y sont pour rien. “C'est une riposte populaire au piétinement de la loi”, disent les uns. “C'est le comité populaire qui est derrière, pas nous”, disent les autres. Ce que l'on appelle ici le comité populaire, ce sont les archs version locale. En fait, une organisation satellite du FFS qui a claqué la porte de la CICB en juin 2002 lorsque l'Intercommunale a refusé d'intégrer dans ses revendications l'exigence de la vérité sur l'assassinat de Matoub Lounès. Au moment où nous discutons à battons rompus avec le responsable du FFS, ledit comité populaire prépare une marche pour le milieu de l'après-midi. Au siège de l'APC de Tazmalt, l‘ambiance est beaucoup plus sereine et l'heure est à la concertation. À notre arrivée, M. Bouraï Saâdadou, premier vice-président, reçoit dans son bureau des présidents d'associations villageoises venus apporter leur soutien. Après quelques palabres, décision est prise de se retrouver pour arrêter ensemble les actions à mener et la démarche à suivre pour contrecarrer la décision officielle de révoquer les élus. Le maire, M. Achour Belkhichane, à la tête de la mairie depuis 14 mois, affiche la même sérénité. À l'inverse d'un grand nombre de ses collègues d'autres communes, cet industriel prospère, pionnier dans la fabrication d'emballages alvéolés pour œufs, a été élu avec un “confortable” taux de 20% qui lui fait dire avec beaucoup de confiance : “C'est la population qui m'a amené ici. Nous ne sommes pas des indus élus mais de vrais élus et le tissu associatif va le démontrer très bientôt.”
“Nous appelons au calme”
M. Belkhichane nous avoue, en effet, avoir reçu dans son bureau tous les chefs de village du arch des Ath Mellikèche, une quinzaine au total, venus lui prêter main forte. Depuis son élection, il a brassé large en donnant de lui l'image d'un rassembleur qui écarte toute velléité de régler des comptes. En homme d'affaires avisé, il sait que c'est la meilleure des positions à adopter dans une commune encore divisée en çofs, les clans kabyles traditionnellement opposés les uns aux autres. “Nous appelons au calme, à la sagesse et à la fraternité. Nous allons défendre pacifiquement notre APC, sans heurts et sans violence et nous sommes prêts à n'importe quelle concession pour épargner les vies humaines.”
La stratégie est claire. Il faut s'appuyer sur la société civile en particulier et la population en général pour garder la mairie. On annonce une grande marche populaire pour mercredi, jour de marché. Au siège saccagé de la daïra, c'est l'ambiance des jours sombres. Quelques policiers en civil et d'autres en tenue montent discrètement la garde et l'heure est au grand nettoyage. Les pneus qui ont échappé au feu, les bris de verre, les papiers et les morceaux de mobilier jonchent encore le sol noirci par la suie. Au rez-de-chaussée, des employés s'activent à faire place nette et à tout remettre en ordre. Au premier étage, M. Salah Baziz, le chef de daïra, est un homme qui ne cache nullement sa détermination à repartir à zéro, même s'il s'attend à tout moment à revivre la même tragédie. Il compte bien rouvrir les portes de l'instance qu'il dirige dans les plus brefs délais. Sa famille, qui occupe avec lui un logement de fonction situé au dernier étage de l'immeuble qui abrite la daïra, a failli connaître une fin des plus horribles. Si l'incendie allumé par les émeutiers au rez-de-chaussée n'avait pas été circonscris à temps, sa femme et ses enfants auraient péri brûlés vifs.
L'ironie de l'histoire est que c'est la deuxième fois que cela lui arrive, car il a déjà connu pareille mésaventure durant les émeutes du Printemps noir. Mais lors de situations aussi traumatisantes, ce sont bien sûr les enfants qui trinquent et M. Baziz ne l'ignore pas. Son point de vue ? “Je fais la part des choses entre ma mission de commis de l'Etat et mon rôle de parent, mais je ne céderai pas un pouce de mes prérogatives. J'assumerai ma mission quelles que soient les circonstances”, dit-il avec aplomb. “En mai 2001, j'ai pris mes fonctions dans une daïra complètement ravagée, brûlée, rasée mais j'ai réussi à reprendre petit à petit. Je suis un battant et je repars dès demain au combat au service du citoyen.”
Lorsque nous quittons Tazmalt, le “comité populaire” est en pleine marche. “Ouyahia, Abrika, l'aârouch el khoubatha !”, s'égosille-t-on dans un mégaphone. Ils sont tout au plus une vingtaine à arpenter ainsi la rue principale sous l'œil indifférent d'une population qui semble avoir d'autres chats à fouetter.
Même si elle peut sembler perdue d'avance, la bataille pour la mairie ne fait, réellement, que commencer.
D. A.


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