Pour avoir voulu “normaliser” la Kabylie en dépit du bon sens, le pouvoir en arrive à se déjuger. Mars 2002. Ouyahia déclarait au nom de son parti, le RND, à l'occasion d'un meeting de campagne électorale, que “s'il le faut, nous irons à l'élection même sans la Kabylie”. Jeudi 22 janvier 2004. Ouyahia, toujours lui, mais en tant que chef du gouvernement cette fois, décidait, ex cathedra, qu'il fallait faire participer la Kabylie à l'élection présidentielle, quitte à sacrifier les élus de la région qu'il se propose tout bonnement de dégommer d'autorité. Deux époques, deux discours. Des discours de circonstances que le régime distille au gré de ses calculs, au gré de ses intérêts bien compris pour se régénérer, chaque fois qu'il sent que le peuple l'abhorre un peu plus. En octobre 2002, la Kabylie était quasiment en situation de rébellion, mais le gouvernement a quand même opéré un coup de force en validant un scrutin qui ne s'était pas tenu. Pour ne citer qu'un exemple, il a proclamé l'“élection” d'une assemblée municipale de neuf personnes avec seulement… huit suffrages exprimés ! Et il ne s'était nullement soucié des sobriquets collés si génialement par la population de cette région au “scrutin de la honte” et aux “indus élus”. Le tour était joué et “la pilule était avalée”, devaient se dire alors nos gouvernants qui ont été incapables d'intelligence, voire simplement de bon sens. Car le bon sens était certainement d'annuler cette élection qui, en réalité, n'avait pas eu lieu. Mais pour eux, il fallait marquer le coup, faire comme si de rien n'était, pour consolider un édifice institutionnel construit au pas de charge, à coups de fraudes successives et de tricheries. Aujourd'hui, ce même pouvoir revient à de “meilleurs sentiments” en s'accrochant désespérément à cette Kabylie face à laquelle il se faisait un point d'honneur à rester sourd. Mais c'est seulement en apparence. Car, si hier, le FFS a été couvert d'éloges par les autorités pour avoir tenu tête aux “dangereux” archs, c'est simplement parce qu'il avait servi, du moins objectivement, la cause du pouvoir en l'aidant à négocier le virage des locales en Kabylie. À présent, les temps ont changé. Les intérêts du pouvoir aussi. Le FFS n'est plus en odeur de sainteté aux yeux des décideurs. Ce sont plutôt ses ennemis d'hier, les animateurs du mouvement citoyen, qui lui offrent une belle planche de salut au détriment du FFS. Ce dernier, qui avait participé au coup de force d'octobre 2002, risque de subir dans les jours qui viennent un coup d'Etat original de la part de l'inamovible pouvoir. Ses “courageux élus” risquent d'être délogés par Ouyahia de leur mairie pour faire plaisir aux archs, autrefois “louches” et “trop farouches” aujourd'hui “responsables” et “patriotes”. Dans ces retournements de veste et ces politiques du surplace et de l'à-peu-près, le pouvoir excelle. Lui, retombe toujours sur ses pieds, nonobstant ses contradictions, ses reniements et son clientélisme, parce qu'il réussi souvent, à casser les consensus dans cette région et à court-circuiter les alternatives qui menacent sa sève nourricière. Qu'a donc gagné la Kabylie de cette histoire de rapports, entre ses archs et les gouvernements successifs, sinon 124 morts, 2 000 blessés, avant de finir à la table des négociations ? Le pouvoir, en revanche, a sans doute tiré son épingle du jeu en réussissant à se sortir d'une situation qui lui était extrêmement défavorable, par l'entremise du bon joueur qu'est Ahmed Ouyahia. Au grand bonheur de Bouteflika. H. M.