D'après l'écrivain algérien, cette collusion annoncée de la politique avec la littérature promet de nombreuses péripéties. Et de citer notamment Flaubert qui disait que "tout ce que nous inventons est vrai"... En marge du Salon international du livre d'Alger, le forum de Liberté a eu le privilège de recevoir, hier, l'auteur algérien le plus lu au monde, en l'occurrence Mohamed Moulessehoul, alias Yasmina Khadra. Invité à aborder sa conférence sur "la place du talent algérien dans le monde", l'auteur a d'emblée prévenu son auditoire qu'il ne s'agissait là que d'un "piège" car, selon lui, "le talent commence toujours sur son propre territoire..." Et ce n'est pas fini ! L'ancien officier de l'ANP tendra même une "embuscade" à l'assistance en annonçant sa candidature à l'élection présidentielle. "Et ce, dès 2014, si je suis prêt !" a-t-il précisé. Il pense même avoir, pour cela, le profil idéal. "J'ai été élevé par l'Ecole des Cadets et formaté par l'amour indéfectible de l'Algérie. J'ai été également le concepteur du plan de la lutte antiterroriste dans l'Oranie. Aucun homme ne peut m'imposer quoi que ce soit. J'ai écrit Morituri sous les drapeaux. Loin des salons, moi, j'en ai vu des gens mourir..." Il faut dire que cette déclaration que personne n'attendait en aura surpris plus d'un. Le romancier aurait-il confondu la fiction avec la réalité ? S'agit-il d'un effet d'annonce pour un thriller politique à venir ? Ou d'une candidature iconoclaste à la manière du défunt humoriste français Coluche ? Invité à donner davantage de détails sur ses motivations politiques, l'auteur de L'Attentat s'estime "sérieusement" en mesure de convoiter la magistrature suprême pour la simple raison que, selon lui, les dirigeants actuels n'ont pas plus de mérite et d'amour du pays que lui. "S'ils ont mieux défendu l'Algérie, qu'ils nous le disent. Et s'ils se croient seuls, qu'ils sachent que nous sommes là !" Et s'il est encore trop tôt pour se prononcer sur l'écho médiatique que ne manquera pas de susciter cette candidature, il est à attendre de nombreux ralliements, notamment dans les rangs des anciens cadets de la Révolution, qui sont dans l'Armée, faut-il noter, une véritable légion. D'ailleurs, plusieurs d'entre eux étaient présents dans la salle pour acclamer l'un des leurs. Il estime incarner, ainsi, l'idée que "ce pays n'est pas un dépotoir et qu'il ne produit pas que des ordures". Il considère avoir donné, grâce à son œuvre, une plus grande visibilité à l'Algérie à travers le monde. "Je crois que la vocation d'un être humain est d'être utile aux autres. C'est une nécessité vitale ! J'ai beaucoup d'admiration pour Médecins sans frontières qui viennent partager au bout du monde la misère oubliée par Dieu et par les hommes." Pour bien montrer qu'il n'est pas un "carriériste", l'enfant de Kénadsa révélera que des généraux d'aujourd'hui étaient hier ses subalternes. Idem sur le plan financier : il ne court pas après l'argent. "La subvention entière du Centre culturel algérien (CCA) de Paris ne correspond même pas à mes droits d'auteur. Mon salaire représente à peine la correction d'un scénario." Victime en Algérie de l'occultation de son talent, Yasmina Khadra réussira, en quelques mots seulement, à démystifier tout ce qu'on a pu distiller sur son compte de malsain, et ce, depuis son "intrusion" dans les cercles littéraires. De toute manière, qu'on le veuille ou non, Yasmina Khadra a, incontestablement, beaucoup de talent. Et cela, personne ne le conteste, à moins, bien sûr, de ne pas avoir assez de goût, ou encore d'être de mauvaise foi : "Je ne suis pas accablé par les critiques négatives, mais par le mensonge. Quand on lit un livre, soit on va vers le génie, soit vers l'imperfection." Pour lui, la méchanceté ou la malveillance consiste surtout à chercher dans un texte "la coquille". Il dit, ainsi, ne pas refuser la critique esthétique, mais il trouve, néanmoins, la presse algérienne quelque peu "dyslexique". "J'ai du chagrin pour celui qui ne sait pas s'émerveiller. Celui qui ne sait pas rêver est un drame itinérant. Il faut savoir être heureux dans la vie. Certains journalistes sont frappés par un strabisme irréversible." "Dans mon prochain roman, chacun en prendra pour son grade", promet-il, un brin menaçant. Et de rappeler que Sainte-Beuve a longtemps détesté Madame Bovary. "Personnellement, je n'ai jamais pu accéder à la grandeur de cet écrivain qu'était Joyce." Il considère, cela dit, que la majorité des journalistes le respectent... "Je dois avoir, tout au plus, 5 détracteurs sur 7 millions de lecteurs. C'est une minorité qui ne mesurera jamais la guerre qui m'est faite actuellement en France. C'est le lectorat et surtout le lectorat algérien qui me sauve." Accusé d'être un plagiaire, l'auteur de L'Imposture des mots s'est défendu avec un humour corrosif. Jugeons-en ! "Je n'ai volé ni trahi personne. Je me demande, d'ailleurs, comment ce crétin de nègre a-t-il pu choisir un militaire qui ne ressemble à rien. Il aurait pu, tout au moins, opter pour une superbe femme, ou encore un Algérien plus sympa..." Il semble, lui aussi, nourrir un sentiment d'insatisfaction devant la gestion actuelle du pays. "Tous les pays du monde ont un lobby, un support qui conforte les convictions nationales. Sauf l'Algérie !" Pour lui, il n'y a aucun doute : "La faille est en nous." "Les gens qui font la légende de l'Algérie n'ont pas de mérite." Il en veut, pour preuve, le sort de son ancien enseignant, M. Kouadri-Mostefaoui Bouali, qui, de son propre aveu, l'a éveillé à "la beauté du verbe". Ce dernier était devenu, regrette-t-il, une "loque humaine" végétant dans les préfabriqués du séisme de Chlef. Il rappellera qu'il lui a dédicacé son dernier opus, Les Anges meurent de nos blessures. "Il y a des gens sublimes en Algérie qu'il va falloir reconnaître et protéger", a promis, à cet égard, le candidat à la présidentielle. À la question de savoir s'il disposait précisément d'un programme électoral en bonne et due forme, il répondra par l'affirmative : "Bien sûr que oui !" Cela dit, il fera surtout part de son "grand souci d'Algérien qui ne supporte pas que le talent algérien soit négligé et amoindri". Il ne comprend pas, par exemple, pourquoi le passé militaire de John Le Carré rehausse son prestige. Et pas lui ! Des questions du genre, Yasmina Khadra n'en manque pas. "J'ai eu le privilège de découvrir au CCA un talent fou, pluriel, inventif, en avance sur son temps. Mais pour le cinquantenaire de l'Indépendance, on a été complètement zappé. Le programme du CCA avait été pourtant validé dans son intégralité, mais nous n'avons reçu aucun sou si bien que l'on se retrouve aujourd'hui avec un déficit." Il révèlera que dans ces conditions, il lui est difficile de tenir tous ses engagements. "En matière d'expositions de peinture, nous sommes saturés jusqu'à fin 2014. C'est dire l'extrême générosité artistique des Algériens." Faisant face à cet auteur prolifique, l'animateur du Forum de Liberté, notre ami et confrère, Ahmed Lahri, n'a pu s'empêcher, pour sa part, de poser une question osée : "À quoi carburez-vous ?". "À l'amour", s'est-il entendu répondre. Pour Yasmina Khadra, il n'y a aucun doute : "L'Algérie ne peut être sauvée que par les femmes." Et de rappeler l'apport incommensurable de son épouse à laquelle il rendra hommage. "Quand je suis sorti de l'armée, j'étais comme Mowgli (le héros du Livre de la jungle de Rudyard Kipling, ndlr) sortant de la forêt. Je n'avais pas le sens de la famille. Pour moi, c'était noir ou blanc. Mon épouse m'a appris non pas à être le meilleur, mais à donner le meilleur de moi-même." Il révélera que c'est sa moitié qui l'a poussé à entrer dans la clandestinité pour écrire. Grâce à elle, les Algériens savent donc que la discipline militaire n'a jamais empêché la réflexion. "Nous sommes aussi créatifs que n'importe quel peuple", a martelé l'auteur de L'Equation africaine. Et si on a coutume de dire qu'en Algérie "tout est politique", il y a tout lieu de croire que l'œuvre de Yasmina Khadra l'est également, pour la simple raison qu'elle est aussi le reflet de notre temps. "Mais avant de se battre pour la justice, il faut, d'abord, être juste soi-même", a-t-il, toutefois, préconisé. Un beau slogan de campagne, en somme. M.-C.L. Nom Adresse email