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Malik Bourbia, Rappeur et Observateur du mouvement RAP en Algérie
"Le clash dans le rap est une pure invention des médias"
Publié dans Liberté le 16 - 01 - 2014

Malik Bourbia (alias cheikh Malik) est rappeur et observateur du mouvement rap en Algérie depuis 1996, année durant laquelle il a créé le groupe TOX (Theory of Xistence). Il a donné plusieurs conférences sur le rap algérien, son histoire, et a également collaboré dans plusieurs quotidiens sur la question des musiques urbaines et le rap algérien. Dans cet entretien, il intervient sur le rap de Lotfi Double Kanon, sur la recette de son succès, et sur certaines notions comme le clash.
Liberté : Que pensez-vous de la polémique autour de la chanson de Lotfi Double Kanon ?
Malik Bourbia : Tout d'abord, pour moi il n'y a pas de polémique et ce n'est pas la première fois qu'un rappeur attaque un ministre ou un responsable en Algérie. Les exemples sont très nombreux de par le passé. C'est juste que Lotfi possède un "fanbase" (public) très large et qu'il est soutenu par les médias. Il a ce qu'on appelle des espaces d'expression, ce qui n'est pas le cas pour la majorité des rappeurs algériens. Donc chaque mouvement est mis en lumière. Concernant la "polémique", c'est du buzz pur et simple, ce qu'il raconte était déjà repris depuis plusieurs jours par les médias et les réseaux sociaux, et même beaucoup de rappeurs ont fait des chansons sur cette question...
De la démagogie pure. Pour moi, en tant qu'observateur, il a profité de cette occasion pour faire une chanson comme pour d'autres occasions (la qualification à la Coupe du monde, le printemps arabe, la Palestine, etc.), vu la concurrence qui s'installe et que beaucoup de jeunes se sont détournés de lui ces dernières années, parce qu'artistiquement, il n'est pas passé à autre chose. Pour l'anecdote, Lotfi a déclaré une fois sur un journal arabophone qu'il sera le premier rappeur algérien à animer une scène à Gaza (après des événements là-bas), alors qu'un rappeur algérien qui se nomme Naïli l'a fait plusieurs fois avant lui.
Ça révèle un peu le manque de professionnalisme de certains journalistes et le buzz à tout prix de Lotfi, même s'il faut marcher sur ses compères. Ce n'est pas de la méchanceté gratuite ce que je suis en train de dire, mais je donne une analyse de ce fait.
Que nous révèle cette polémique ?
Encore une fois, pour moi ce n'est pas une polémique, mais ça révèle que les réseaux sociaux commencent à avoir beaucoup d'impact sur les médias en Algérie et que nous manquons beaucoup de critiques culturels et de personnes qui peuvent amener le débat musical, culturel et sociétal à un autre niveau. La preuve : tous les médias s'arrachent ça, alors qu'il y a d'autres artistes rap en Algérie qui fournissent un travail de qualité pour des causes plus importantes et abouties artistiquement parlant.
Le rap en Algérie franchit-il un cap, avec un rappeur qui clashe un responsable politique ?
Je ne pense pas que le rap est en train de franchir un cap avec cette histoire. Comme peut en témoigner le passé de cette musique, des chansons dans cette lignée, il y en a eu beaucoup. Il y a l'impact des technologies et des réseaux sociaux et le phénomène du Big Brother derrière tout ça : plus c'est croustillant, plus ça relève de la vie privée et plus c'est tabou, on en consomme à grande échelle. Le rap en Algérie s'est construit par lui-même, et si on écoute bien, beaucoup de choses sont dites par rapport au mal de la société, de la jeunesse, du vécu et ce qui se passe dans les hautes sphères. Il y a de la création, de la revendication, de l'humour, des déchirures, mais pour être sincère avec vous, le rap en Algérie a besoin d'espaces d'expression, de structures et de concerts, pas de pseudo-polémiques.
Est-ce que le clash existe chez nous ?
Pour remettre les choses dans l'ordre et mettre la lumière sur une idée reçue : le clash dans le rap est une pure invention des médias et des maisons de disques pour booster les ventes de disques. Dans le rap, il existe ce qu'on appelle le «Battle». Je m'explique : ce sont deux rappeurs qui se mettent face à face sur une scène et qui se lancent des vannes en rappant, parfois méchantes, parfois drôles pour déstabiliser l'adversaire. Le rappeur doit être percutant, technique, drôle et doit savoir contrôler le public. À la fin, c'est au public présent dans la salle de trancher sur le gagnant. Le clash tel qu'il est pratiqué actuellement n'existe pas dans le rap, et le rap est lui-même un élément d'une culture qui s'appelle hip-hop et qui a plus de 60 ans d'existence, et dont le slogan est Peace, Love, Unity & having Fun.
Est-ce qu'il y a des limites au clash ?
La limite dans l'art relève du subjectif. Pour moi, il n'y a pas de limite, car se limiter devient forcément de l'autocensure. Maintenant il faut juste mettre chaque chose dans son contexte et se poser la question.
Le succès de Lotfi Double Kanon est peut-être l'arbre qui cache la forêt. Que raconte le rap aujourd'hui en Algérie ?
Des questions se posent : pourquoi ce n'est que Lotfi qui a du succès dans le rap algérien ? Pourquoi ce n'est que lui qui est invité sur tous les plateaux télé et tous les grands festivals étatiques ? C'est parce qu'il est extrêmement talentueux et qu'il a su le rester durant plus d'une décennie ? Je ne le pense pas.
Il a indéniablement du talent, mais je dirais qu'il est utilisé pour justement cacher la forêt. Personnellement je n'aime pas les artistes qui surfent sur la tendance et qui pratiquent la démagogie. Personnellement je suis pour un art intemporel avec des convictions et un combat pour enclencher un débat sociétal ; un art qui pose des questions et met la société et le pouvoir face à un miroir. Dans le rap algérien, on raconte de tout. Il y a à boire et à manger : on parle des injustices, des joies, des douleurs, du rap, de la culture, du système, des généraux, de l'amour, mais ce n'est pas ça le plus important actuellement, le plus important, pour ma part, c'est comment on aborde ces thèmes et quelle dimension artistique est en train de prendre le rap algérien actuellement. Où va-t-il ? Et aura-t-il sa place dans le paysage culturel algérien après plus de 20 ans d'existence ?
S. K
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