Après ses interpellations adressées à l'Armée qui s'est contentée de rappeler ses missions constitutionnelles, Mouloud Hamrouche s'est tourné vers la société civile dont il a rencontré, hier à Tizi Ouzou, des représentants devant lesquels il a longuement débattu de la crise qui paralyse le pays. "Ce sont les intérêts claniques qui donnent l'impression que le pays fonctionne. Autrement, tout ce qui est institutionnel n'existe plus, le pouvoir est dans l'incapacité d'exprimer une volonté et de transformer son discours en action. Il est incapable de produire une alternative. Les élites sont ligotées et les partis politiques ne peuvent pas constituer une alternative", dira l'ancien chef de fil des réformateurs devant des enseignants universitaires, avocats, syndicalistes et membres associatifs invités à la rencontre par la Laddh, dirigée par Me Aïssa Rahmoun. Pour Mouloud Hamrouche, "le pays est dans l'impasse". "S'il n'y a pas un nouveau consensus, même ce que nous avons aujourd'hui ne résistera pas. On risque d'aller vers une implosion qui nous mènera très loin en arrière et nous n'avons ni le tissu social ni les structures qui permettront de qualifier de révolution ce qui risque de se produire", a-t-il averti tout en soulignant que quand un pays se met sur la voie de la déchéance, il ne s'arrêtera pas jusqu'à ce que des hommes décident de bloquer ce processus. "Aujourd'hui, même les services sont dépassés et ils le seront encore davantage demain", a-t-il estimé en concluant que l'impasse touche le pouvoir, l'Armée, la classe politique et le peuple... "Je n'incrimine ni un ministre, ni un Premier ministre, ni un président, mais le blocage actuel est l'aboutissement d'un système duquel on doit se libérer", a-t-il encore précisé. Aux questions posées par Saïd Khelil, Saïd Boukhari, Salem Sadali, Brahim Tazaghart, les enseignants universitaires et des militants des droits de l'Homme au sujet de ce consensus, Hamrouche a répondu que celui-ci doit porter prioritairement sur la réhabilitation de l'Etat et de ses institutions, la libération de ces institutions des réseaux maffieux et la réhabilitation de la politique. Pour le moment, a ajouté dans le même sens Mouloud Hamrouche, "En Algérie, ce sont les réseaux qui gouvernent et non pas les institutions. Aujourd'hui, nous nous retrouvons face à des administrations qui n'obéissent plus à la loi, mais aux coups de téléphone". Continuant d'expliquer sa conception du nouveau consensus, l'ancien chef de gouvernement de 1989 à 1991 compte aussi sur l'implication de l'institution militaire. "Je ne demande pas à l'institution militaire de faire des réformes, mais cherchons ensemble les voies et moyens pour aller vers cet objectif de réhabilitation de l'Etat", a-t-il soutenu tout en notant qu'aucune force organisée n'est aujourd'hui capable d'atteindre seule cet objectif et en appelant à mettre à profit la rationalité de l'Armée au profit de l'administration et de l'économie. Interrogé, lors du riche débat qui a marqué cette rencontre à laquelle avait pris part également Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, au sujet de l'exploitation du gaz de schiste, Hamrouche répondra sèchement que "l'Algérie a beaucoup d'argent, alors pourquoi aller vers son exploitation", dit-il en s'interrogeant : pourquoi le conseil de l'énergie ne s'est pas réuni sur cette décision ? Pourquoi les députés n'ont-ils pas interpellé le gouvernement et, surtout, pourquoi entretenir autant de flou autour de cette décision qu'il considère ainsi suspecte ? Lors des débats, l'assistance a, à chaque fois, interpellé Hamrouche sur les possibilités d'aller au-delà des constats dressés lors de ces rencontres avec la société civile pour aller vers la construction d'une alternative à la situation actuelle. Pour le père des réformes de 1989, "il faut d'abord créer le déclic au niveau des élites et des universitaires qu'il faudrait libérer de l'impératif alimentaire, puis le peuple suivra". Pour lui, il s'agit, pour le moment, de prendre conscience qu'il ne faut plus laisser le pays dans l'impasse et de débattre comment le pays doit être gouverné et non pas par qui il doit l'être. S. L. Nom Adresse email