La création de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), en pleine guerre de Libération nationale, a marqué l'histoire de cette organisation. Cet état, sans cesse ressassé lors des rencontres sur le syndicalisme en Algérie, tend à montrer l'inféodation de l'UGTA au système politique et, par voie de conséquence, les verrous à faire éclater. Créée en 1956, l'UGTA s'est rapidement impliquée dans la lutte pour l'Indépendance du pays, en apportant son soutien au FLN et à l'ALN. De l'avis des syndicalistes, le politique avait lourdement pesé sur l'activité syndicale, durant cette période. Mais après l'Indépendance, cette volonté de caporalisation, combinée à l'unanimité ambiante, s'est poursuivie pour empêcher les travailleurs de disposer d'un syndicat indépendant et démocratique pouvant poser problème au régime politique et surtout capable de peser sur les choix économiques du pays. De nombreux syndicalistes, parmi les plus audacieux et les plus intègres, seront marginalisés, exclus ou poussés vers la porte ; d'autres, en revanche, prendront le chemin du silence, de la complaisance et de la complicité ou gagneront les appareils politiques (FLN) ou administratifs. Pourtant, malgré la mainmise du pouvoir sur l'UGTA, celle-ci a connu des batailles en son sein, notamment pour "le renouveau syndical", contre l'application des articles 120 et 121 (en 1982) qui obligeaient les cadres syndicaux à être membres du parti FLN. Depuis les années 1990, d'autres luttes et même des grèves ont été menées par des sections syndicales et des syndicats d'entreprise, alors que la direction nationale de l'UGTA, "retenue" par la signature du pacte économique et social, se verra dans l'incapacité d'agir devant les entraves au droit de grève. Il est reproché à cette dernière de contribuer à réprimer la colère des travailleurs et à contenir la fronde sociale. En une décennie, l'UGTA, qui a pourtant fait face courageusement au terrorisme, s'est transformée en un simple faire-valoir de l'Exécutif, légitimant les politiques du gouvernement, même celles considérées préjudiciables aux droits des travailleurs. Depuis des années déjà, syndicalistes, économistes et autres spécialistes du monde du travail préviennent sur la voie "anormale" empruntée par la direction de l'UGTA, affirmant que celle-ci s'est éloignée du monde réel du travail, qu'elle tarde à s'attaquer aux "problèmes de fond", à construire des passerelles avec les syndicats dits autonomes et à s'implanter dans le privé national et les sociétés internationales. D'aucuns ont mis le doigt sur l'inexistence de démocratisation du syndicat, le carriérisme et la course au cumul des postes de responsabilité. Non sans s'interroger sur les raisons de l'absence d'un organe de l'UGTA, pour faire connaître et défendre ses positions sur tout ce qui touche à l'économie nationale et au monde du travail, sur la privatisation, l'Organisation mondiale du commerce et l'Organisation internationale du travail, ainsi que ses positions par rapport aux questions de l'heure. La nature ayant horreur du vide, un comité national de réappropriation et de sauvegarde de l'organisation (CNRS) est créé, au début de l'année en cours, dont les fondateurs sont pour la plupart des militants de base de l'UGTA, parmi les plus conscients du "nouveau virage" pris par la centrale syndicale et des menaces qui guettent le monde du travail et le pays. Sidi-Saïd toujours l'homme de la situation ? Dans ses communiqués et ses déclarations publiques, le comité tire la sonnette d'alarme sur les "dangers intérieurs et extérieurs", ainsi que sur "l'inquiétude sans cesse grandissante et le désespoir de larges couches de la société". Tout en condamnant "tout ce qui se trame contre l'intérêt des travailleurs et l'intérêt de l'Algérie". En termes d'alternative, il plaide pour "l'existence d'un syndicat crédible, unitaire, rassembleur et réellement démocratique, capable d'apporter les solutions les plus justes aux problèmes socio-professionnels du monde du travail, et compétent pour faire les propositions les meilleures sur le plan économique". Il établit un état des lieux alarmant de l'UGTA : un constat bien connu des travailleurs et des syndicalistes. D'après Ahmed Badaoui, porte-parole du CNRS, l'organisation syndicale est gérée aujourd'hui de "la manière la plus illégale", en violation de ses statuts et de son règlement intérieur. Gestion "antidémocratique", "cooptation" des responsables au lieu de leur élection, "grave dérive" et "perte de crédibilité" au niveau de la centrale syndicale, sont parmi les griefs du comité de sauvegarde. Celui-ci avertit, d'ores et déjà, du "coup de force" organisé, en août dernier, par le secrétaire général sortant de l'UGTA, Abdelmadjid Sidi-Saïd, et ses "acolytes", en prévision du prochain congrès. Un coup de force au grand mépris de "la primauté et la prépondérance" de la commission exécutive nationale (CEN) qui dispose pourtant des prérogatives d'instance dirigeante entre 2 congrès nationaux. Pour le comité de sauvegarde de l'UGTA, la démarche de M. Sidi-Saïd, qui cumule 17 ans à la tête de l'organisation, a pour finalité la mainmise de l'organisation par les forces bureaucratiques et rentières antisyndicales, antinationales et antipatriotiques. Et, pour avoir failli à ses "responsabilités" en tant que de premier responsable de l'UGTA et en raison de sa complaisance envers le pouvoir et le patronat, le CNRS estime que M. Sidi-Saïd "n'est plus l'homme de la situation" aujourd'hui. Et ce, surtout dans la période post-projet de code du travail. Un texte qui, pour rappel, a été élaboré par le gouvernement, en association avec ses deux partenaires, à savoir : le patronat et la Centrale syndicale UGTA. Pour le moment, les priorités du comité de sauvegarde sont de l'ordre de trois : la mobilisation "la plus large" pour la tenue démocratique du 12e congrès de l'UGTA et celle pour le retrait du "dangereux" projet de loi sur le code du travail, sans oublier le soutien à "toutes les luttes" des travailleurs pour la défense de leurs intérêts et de leur dignité. La création du comité de sauvegarde de l'UGTA suscite bien des questions, à commencer par la portée du retour de la contestation au sein de l'organisation, à la veille d'un congrès national considéré comme des plus déterminants. Les syndicalistes de l'UGTA et les travailleurs en général pourront-ils se réapproprier ce syndicat ? L'UGTA parviendra-t-elle à écarter les éléments travaillant pour les intérêts des forces liées au capital étranger et à s'émanciper du pouvoir pour se consacrer à la mission syndicale ? Ou assisterons-nous à la fin du "rôle historique" de l'organisation d'Aïssat Idir ?