En homme politique avisé, Soufiane Djilali sait que quand des islamistes et des laïcs se rassemblent sur un minimum d'expression politique, cela fait trembler le pouvoir qui y perçoit alors un danger immédiat. Ce qui est loin de lui déplaire. C'est à un moment où la situation politico-sécuritaire est assez critique dans le pays, aggravée notamment par l'odieux assassinat de l'otage français Hervé Gourdel, que Soufiane Djilali, le président du parti Jil Jadid, est venu, hier, au Forum de Liberté donner son point de vue sur cette sanglante et malheureuse actualité qui met sérieusement à mal l'image de l'Algérie. D'emblée, il considère que les derniers développements ne sont pas le fruit du hasard, mais bel et bien le résultat d'une mauvaise conduite des affaires du pays. Revenant sur cette exécution atroce de l'otage français et ses implications sur l'image de l'Algérie, Soufiane Djilali regrette, lui aussi, amèrement que le nom de notre pays ait été cité en pleine assemblée générale de l'ONU, notamment lorsque le président Obama a présenté publiquement ses condoléances au président François Hollande. "Notre Président à nous n'était pas là !", rappelle-t-il. L'invité de Liberté se dira effaré lorsqu'il entendra notamment le président français répondre à une journaliste quant à sa communication téléphonique avec le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal et non pas avec son homologue. "Mais où est passé Bouteflika ?" Le chef de l'Etat français répondra sans fioriture que "le président Bouteflika est malade et inapte à parler au téléphone". Interrogé par la suite sur l'éventualité d'une visite sur place à Alger, Hollande répliquera qu'il n'y avait aucun intérêt. "Ça ne changera rien, le président Bouteflika est malade et il ne peut plus rien faire." Cette déclaration n'est pas tombée, semble-t-il, dans l'oreille d'un sourd puisque Soufiane Djilali s'en est emparé pour s'interroger : "Faut-il attendre que l'information vienne de France pour qu'on apprenne ce qui se passe dans ce pays ?" Un dysfonctionnement qui n'exonère en rien, selon lui, les ingérences de l'ancienne puissance coloniale. "C'est incroyable. Il n'y a pas si longtemps François Hollande nous assurait que Bouteflika était en mesure de finir tranquillement son mandat. Aujourd'hui, il annonce au monde entier qu'il est incapable d'exercer ses fonctions." Et de s'interroger avec malice, si Bouteflika allait écouter le chef de l'Etat français et s'auto-appliquerait le fameux article 88 de la Constitution algérienne qui prévoit la vacance du pouvoir. Soufiane Djilali ne peut s'empêcher de s'interroger également sur certains faits qui n'ont rien d'anodin. "Pourquoi depuis une année la présidence s'est attaquée aux services de sécurité ? Pourquoi déstabiliser nos institutions au lieu de les renforcer au moment même où toute la région est devenue instable ? Quelle est la politique du président de la République ou de ceux qui agissent en nom ?" Préparer l'après-Bouteflika Mettant à profit, par ailleurs, son passage au Forum de Liberté qu'il a, dit-il, "un très grand plaisir à retrouver", notre invité fera, d'abord, une lecture d'une correspondance, déjà publiée dans notre quotidien en date du 24 mai 2001, un message adressé à la génération de Novembre intitulée Lettre à nos aînés. Dans cette missive, Soufiane Djilali rappelle "ce sublime combat" qui fait que l'on ne pourra jamais parler du XXe siècle sans évoquer notre grande Révolution. Hélas, comme chacun sait, "des choix, pas toujours heureux," ont été pris et ont fini par laminer, petit à petit, ce grand acquis. Pour l'orateur, 14 ans après sa publication, cette lettre n'a pas pris une ride puisque, d'après lui, "aujourd'hui, les peuples du monde entier ont pitié de nous et les grands de ce monde vouent le plus grand mépris à nos dirigeants qui s'accrochent éperdument au pouvoir". D'après lui, le pouvoir a pris une dimension si égoïste que les choses crèvent aujourd'hui les yeux. D'après lui, nos dirigeants sont devenus tellement autistes qu'ils ne savent plus parler vrai au peuple et cela "sans infatuation de soi ni leçon de patriotisme". Se voulant plus précis, il enfoncera le clou sur le déphasage des gens du Club-des-Pins qui, d'après lui, ne se rendent même pas compte que la localité la plus proche de la résidence d'Etat, en l'occurrence la commune de Staouéli, est l'une des plus sales du pays. "Indifférents au malheur de ce peuple, ils ne savent que s'auto-adresser des louanges aussi bien du passé que de l'avenir", déplore-t-il, notant une perte de valeurs qu'encourage, selon lui, avec obstination, le pouvoir. Le président de Jil Jadid regrette ainsi que l'Algérien ait changé dans ses croyances, dans ses comportements et dans sa relation aux autres. "Surtout ces dernières années et depuis la venue du Président actuel", s'empresse-t-il de préciser. D'après lui, il ne s'agit pas d'adopter une posture ni de remonter ou de baisser le moral des Algériens. "Il s'agit de s'inscrire résolument dans le réel, de parler de choses vraies, de mettre le doigt sur la plaie afin d'apporter le remède adéquat. La question est donc de savoir comment diagnostiquer le mal et de sortir des discours critiques et superficiels." Un discours qui tranche singulièrement avec les propos de nos gouvernants si enclins, eux, à présenter les choses toujours sous leur meilleur jour. "Nous sommes en train de préparer l'après-Bouteflika", assène-t-il, non sans conviction. Quid de l'opposition "salafisée" ? S'agissant de la présence de membres de l'ex-FIS dissous au sein de l'opposition qui en intrigue plus d'un, Soufiane Djilali précise que Ali Djeddi et Kamel Guemazi ont siégé en tant que personnes. "J'ai eu l'occasion de le dire franchement, le FIS en tant que tel a non seulement un problème avec l'Etat algérien, mais aussi avec toute la population algérienne. D'un autre côté, on ne peut nier une réalité politique ou sociopolitique quelle qu'elle soit. Faut-il ainsi, exclure un courant politique et le laisser à la marge pour devenir, en cas de trouble, un recours pour de larges pans de la population ?" D'après lui, la finalité de l'opposition ainsi réunie est de construire un Etat de droit. "Et si ces personnes représentent symboliquement quelque chose, qu'elles s'intègrent dans cette démarche politique, cela ne pourra qu'être une bonne chose." En homme politique avisé, Soufiane Djilali sait pertinemment que quand des islamistes et des laïcs se rassemblent sur un minimum d'expression politique, cela fait trembler en Algérie le pouvoir qui y perçoit alors un danger immédiat. Cet "affront" rendu public n'est pas près de lui déplaire. "Nous voulons éviter ce débat mortel qui consiste à opposer un Etat théologique à un autre laïque. On a tourné cette page-là. Nous sommes signataires d'une plateforme politique qui prévoit un ensemble de principes comme l'option irréversible pour un Etat de droit, une séparation des pouvoirs, une direction clairement moderne en faveur de la démocratie, etc. Ils se sont complètement alignés sur cette dimension." Conscient que cette question d'islamistes "radicaux" au sein de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) est perçue comme incongrue, le patron de Jil Jadid se montrera extrêmement rassurant. Parmi les postulats que se sont imposés chez les tenants de l'opposition figure, selon lui, la nécessité de renoncer à la violence quelle qu'elle soit. "On ne tolérera aucun dépassement physique ou verbal contre qui que ce soit. De même qu'on ne peut pas exclure les uns et les autres." D'après lui, tout le monde est à la recherche d'un Etat de droit au-dessus de tous et pour le respect des libertés. "Il ne s'agit pas de brosser un tableau idéalisé car on sait que pour édifier une démocratie modèle cela exige un processus historique long. Nous voulons entraîner tout le monde dans cette dynamique." Pour justifier cette alliance que certains considèrent comme "contre nature", Soufiane Djilali ne sera, à aucun moment, à court d'arguments. Jugeons-en : "On ne peut construire l'avenir en revenant à chaque fois au passé. Il faut se transcender. Le pays est en danger. Nous devons en prendre conscience et vite dépasser nos contradictions." Il se verra reprocher également le fait qu'il y ait des partis politiques ou des personnalités qui étaient hier au pouvoir et qui siègent aujourd'hui au sein de l'opposition. "Mais il faut être raisonnable, on ne va tout de même pas condamner tous les fonctionnaires et autres commis de l'Etat. Cela n'est pas possible." Merci qui... ? "Nous ne remercierons jamais assez le pouvoir d'avoir permis, grâce à ses excès, que l'opposition se retrouve autour d'une table." N'étant pas ingrat, Soufiane Djilali estime qu'en retour, lui et ses pairs de la CNLTD feront tout leur possible afin d'aider le pouvoir à partir. "Il ne s'agit sûrement pas de créer des problèmes supplémentaires au pays, mais de retirer précisément des sources de conflits potentiels pour l'avenir." Interpellé sur le manque de popularité de l'opposition qui peine à se faire entendre, le président de Jil Jadid pointera du doigt les manœuvres sournoises du pouvoir. Et pas seulement. "La culture, ce n'est pas du folklore c'est ce qu'on emmagasine dans notre logiciel. Et à ce sujet je dois dire qu'on bug sérieusement dans notre tête. Qu'on le veuille ou non, le pouvoir est une émanation de la société algérienne." Il fera valoir à ce sujet que la valeur essentielle des grandes civilisations c'est "le temps". L'objectif, selon lui, est de réunir l'opposition, créer un dialogue, percer dans la vie politique et créer enfin un nouveau rapport de force. "Ne soyons pas pressés. Comme en économie, les Algériens veulent, dans un seul geste, gagner le loto. Ils doivent d'abord apprendre à travailler avec le temps, se projeter dans l'avenir et surtout construire." Devant la déception qui mine, de jour en jour, le moral de la nation, Djilali se montrera, pour une fois, un brin optimiste. "Il y a un immense travail qui a été accompli. Je peux vous assurer qu'un effort a été engagé avec sérieux. Soyez patients. On ne vous demande pas d'applaudir ni de nous croire sur parole. En politique, il n'y a pas de hasard ni de processus spontané. Notre finalité est de remettre le pays sur deux pieds pour qu'il marche, pour qu'il avance." Il concédera toutefois à l'opinion son droit de douter : "Les gens ont raison : ils veulent juger sur pièces."