C'est dit, redit et ressassé depuis près de deux ans. Abdelaziz Bouteflika exerce-t-il réellement le pouvoir que lui confère la Constitution ? Ses apparitions épisodiques sur petit écran, à l'ouverture du JT de 20h, s'assimilent à une rediffusion d'une séquence unique. Au lieu de rassurer, elles confortent la conviction que l'état de santé du président de la République n'est pas aussi bon que le suggère son entourage. Les rumeurs ont bruit pendant plusieurs jours. Les unes donnaient le président Abdelaziz Bouteflika plongé dans un coma profond et transféré en Suisse pour des soins d'urgence. Les autres l'annonçaient carrément décédé. Mercredi soir, dans une mise en scène devenue récurrente depuis son retour de l'hôpital du Val-de-Grâce, le chef de l'Etat est montré, à l'ouverture du journal télévisé, recevant le diplomate algérien onusien Lakhdar Brahimi. De l'entretien, qui aurait duré deux heures selon les médias publics, l'ENTV n'a diffusé que le passage où il assure à son invité, dans une voix à peine audible : "Rani beaucoup mieux." Dès lors, la finalité du sujet prend tout son sens. L'entourage du président de la République veut mettre un terme à de folles informations, alimentées par ses absences remarquées à des événements importants dans la vie de la nation. "Non, le Président n'est pas mort ni dans le coma. La preuve, on vous le montre", tel est le message transmis à l'opinion publique par le truchement des images montrées par la chaîne terrestre, puis reprises par ses consœurs publiques et privées et sur la Toile. Du moins, c'est ainsi qu'il a été compris. Au lieu de servir son objectif, la démarche renvoie plutôt à une situation de plus en plus rocambolesque où l'on cherche à justifier l'injustifiable par des procédés souvent maladroits. Le pouvoir, particulièrement celui d'un chef de l'Etat, s'impose comme une évidence par la présence continue de l'homme qui l'exerce sur le terrain, par l'action, le discours, la prise de décision en temps réel, souvent en direct. Dans cette optique, le cas Algérie est inédit. Six mois après sa réélection pour un 4e mandat, Abdelaziz Bouteflika n'a fait que deux apparitions publiques : un tour expéditif au cimetière El-Alia pour déposer une gerbe de fleurs sur les tombes des présidents algériens décédés, le 5 juillet dernier, et le jour de sa prestation de serment au Palais des nations de Club-des-Pins. Encore, il est apparu, ce jour-là, à ses concitoyens, affaibli par la maladie au point d'être incapable d'aller jusqu'au bout de la lecture de son discours d'investiture. Depuis, il a été montré à la télévision présidant un Conseil des ministres, un conseil de sécurité et, de temps à autre, donnant audience à des invités de rangs protocolaires inférieurs au sien. La communication présidentielle est vraisemblablement en crise. Son mode d'emploi est unique. Dès que la rue commence à se poser des questions sur le Président dont on entend parler mais qu'on ne voit pas, un peu comme l'arlésienne, l'ENTV le montre, en ouverture de son JT de 20h, dans un salon du palais d'El-Mouradia échangeant de brèves paroles avec son ou ses interlocuteurs. Faut-il encore que, "quand il passe à la télévision, prouver la date du tournage de la vidéo", comme l'a dit pertinemment un expert interviewé par le journal électronique TSA. Au-delà, la communication autour de l'état de santé du chef de l'Etat manque tellement de sérieux qu'elle en devient ubuesque. Les personnalités qui en parlent n'y sont guère habilitées. Lakhdar Brahimi a déclaré, à la veille du week-end dernier, avoir constaté "une nette amélioration de l'état de santé du président de la République". En quelle qualité ? Le jour de l'Aïd el-Adha, la chaîne Ennahar a transmis, en boucle, un entrefilet faisant état d'un entretien avec Cheb Khaled, dans lequel il a évoqué "la bonne santé du Président". Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et nombre des membres de son gouvernement, Amar Ghoul, Amara Benyounès... et le secrétaire général du FLN, Amar Saâdani, ne ratent pas une occasion pour affirmer que "Bouteflika va bien". Pourquoi mettre autant d'ardeur à convaincre, par des mots, de l'excellence des capacités physiques et mentales du Premier magistrat du pays alors qu'il aurait suffi qu'il assume, tout simplement, et comme il convient, les prérogatives et les charges protocolaires et diplomatiques conférées à sa fonction ? Le débat sur les aptitudes d'Abdelaziz Bouteflika à diriger le pays par lui-même, et non par procuration, doit peut-être commencer par là. S. H.