D'intenses négociations américano-turques ont eu lieu hier, au sujet de l'utilisation par les Etats-Unis de bases aériennes en Turquie, en particulier celle d'Incirlik, pour lancer les raids contre Daech. Si les deux parties aboutissent à un accord, autorisant l'armée américaine à faire décoller ses bombardiers de Turquie, ce sera là indubitablement une nouvelle donne, à même de changer le cours de la campagne menée par la coalition internationale. La raison en est qu'elle intervient dans un contexte particulier marqué par la progression des éléments terroristes, notamment dans la ville de Kobané (Aïn el-Arab), malgré les frappes aériennes de la coalition internationale. La base susmentionnée, où 1500 soldats de l'armée américaine sont stationnés, est située à proximité du théâtre des combats, en Irak et en Syrie. Ce qui est de nature à assurer une présence plus accrue des avions américains, alors que jusqu'à présent les avions américains employés pour les bombardements contre l'EI décollent des bases aériennes plus éloignées, d'Al-Dhafra aux Emirats arabes unis, d'Ali al-Salem au Koweït et d'Al-Udeid au Qatar. La contribution de la Turquie "aux efforts de la coalition contre l'EI" interviendra dans le sillage d'autres mesures, dirigées contre le régime de Damas, qui consistent notamment à assurer l'hébergement et l'entraînement des membres de l'opposition syrienne. Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu avait appelé à fournir un soutien militaire à "l'opposition modérée en Syrie afin de créer une troisième force qui lutterait aussi bien contre le pouvoir du président syrien Bachar al-Assad que contre l'EI". Cela intervient, soulignons-le, dans le sillage du feu vert accordé le 2 octobre par le Parlement turc au gouvernement de M. Davutoglu à mener des actions militaires contre l'EI en Irak et en Syrie, mais jusqu'à présent l'armée turque n'a rien entrepris en ce sens. La Turquie, qui fait office de deuxième armée conventionnelle de l'Otan, serait bien capable d'intervenir et de sauver cette ville, mais elle ne le fait pas par calculs politiciens. Ankara veut tirer profit de la sollicitation internationale et de l'alerte donnée par l'ONU sur un possible génocide pour régler définitivement son différend avec le PKK, qu'elle aimerait voir affaibli. La Turquie refuse pour l'instant de se joindre à la coalition militaire internationale dirigée par les Etats-Unis au motif que les frappes aériennes dirigées contre les éléments de Daech pourraient renforcer par ricochet le camp du président syrien Bachar al-Assad. La Turquie a posé comme préalable à sa participation la création d'une zone-tampon et d'une zone d'interdiction aérienne dans le nord de la Syrie, et la réaffirmation de l'objectif de renverser l'actuel régime de Damas. À l'évidence, d'éventuelles pressions américaines sur la Turquie pour l'amener à changer de position seraient payantes, mais Washington veut certainement ménager son allié turc. En témoigne, la déclaration du secrétaire d'Etat américain John Kerry, dimanche, qui, en qualifiant de "tragédie" la situation à Kobané, souligne que l'approche de la coalition par rapport à cette ville "ne définissait pas sa stratégie globale contre l'EI". "Il y aura des hauts et des bas (...) comme dans tous les conflits (...) mais nous sommes certains de pouvoir élaborer une stratégie commune (au sein de la coalition), chaque pays de la région étant opposé à l'EI", a dit M. Kerry. En tout état de cause, Kobané devrait être au centre aujourd'hui d'une réunion à Washington des chefs militaires de 21 pays de la coalition anti-terroriste, au moment où de violents combats opposaient hier encore terroristes de Daech et combattants kurdes à proximité de la frontière turco-syrienne. Amar R.