Cela fera un mois jour pour jour que le ressortissant français, Hervé Gourdel, s'est fait kidnapper au cœur du massif du Djurdjura après seulement une nuitée passée dans un chalet à Tikjda. Aujourd'hui, cette station climatique se relève péniblement de toute cette mauvaise publicité dont elle se serait bien passée. Dimanche matin, la RN33 reliant Haïzer à Tikjda était plutôt calme, les rares véhicules utilitaires rencontrés appartiennent à des agriculteurs de la région. Dépassé le site de Tiouririne, à une dizaine de kilomètres de la ville de Haïzer, deux jeunes assis sur le bas-côté de la chaussée font de l'autostop. Ils se rendent sur les hauteurs de Tikjda pour rejoindre leurs troupeaux de vaches laissés dans les pâturages. Interrogés sur la situation sécuritaire ces derniers jours, les deux jeunes se veulent rassurants : "Vous savez, la région a toujours été calme ces dernières années et la situation n'a pas changé. Les vols de cheptel sont inexistants et les bergers passent la nuit sur place dans les étables." Les bergers passent peut-être la nuit sur place, mais nos deux compagnons de route, eux, ont préféré dormir chez eux. Arrivé à Tikjda, un minibus de pompiers est stationné non loin du chalet où a séjourné Hervé Gourdel. Plusieurs éléments sont à pied d'œuvre en s'affairant à défricher les mauvaises herbes au pied des cèdres séculaires. Une opération routinière n'étant visiblement pas appréciée par les singes magots qui ont immédiatement fui en apercevant cette brigade de pompiers à pied d'œuvre. Devant l'entrée du Centre national des sports et loisirs de Tikjda, le portrait d'Hervé Gourdel trône en bonne place avec, à ses côtés, une gerbe de fleurs. "Hommage à un ami de la montagne", est écrit sur ce poster. La situation étant vraiment morne en ce début de matinée, nous décidons de continuer vers le col de Tizi n'Kouilal distant d'une quinzaine de kilomètres en passant par Assouel. La RN33 est sinueuse sur ce tronçon, mais cela n'empêche pas les camions de gros tonnage de l'emprunter. Renseignements pris, on apprendra que ces véhicules appartiennent à une entreprise chargée de réparer la route du côté du chalet. Arrivés à Assouel, nous improvisons une halte à côté du stade. Sur place, un berger propose à la vente du lait dans des bouteilles en plastique, alors que ses vaches paissent dans les pacages environnants. Nous l'interpellons en lui demandant : "Vous avez beaucoup de clients ici ?'' Ce à quoi il nous répondra que cela diffère d'un jour à l'autre : "Aujourd'hui, vous êtes le premier, mais sinon, c'est généralement en fin d'après-midi que les gens viennent se promener par ici." Nous lui demandons si la sécurité est assurée du côté de ce versant du Djurdjura dépendant administrativement de la wilaya de Tizi Ouzou. Ce à quoi il nous répondra par l'affirmative, en nous interrogeant sur notre présence en ces lieux. Après lui avoir révélé notre identité, notre interlocuteur deviendra plus loquace : "Vous savez, la région est très calme, les militaires sont restés plusieurs jours dans les parages en ratissant toute cette zone.'' À la question de savoir où sont actuellement les militaires, le berger dira que cela fait quelques jours qu'il ne les a pas vus. Effectivement, sur tout le trajet nous menant vers Tizi n'Kouilal, aucune trace visible de ces militaires qui, la semaine dernière, étaient omniprésents dans la région. Sur le chemin du retour vers Tikjda, nous rencontrons un apiculteur s'occupant de son rucher. Originaire d'El-Esnam, dont dépend le site de Tikjda, cet apiculteur ne semble pas préoccupé outre mesure par la situation sécuritaire sur ces hauteurs. Il avouera à ce propos que les hordes terroristes, qui sévissaient jadis en ces lieux, ont toutes été mises hors d'état de nuire par les militaires : "Vous savez, vous pouvez bivouaquer ici, jour et nuit, si ça vous chante, il n'y aura personne pour vous importuner.'' Au niveau du CNSLT, un gardien de sécurité nous accueille le sourire aux lèvres : "Bienvenue à Tikjda." Le centre semble désert, même si l'on nous affirme que "vendredi passé, il y avait foule". Le directeur du CNSLT ainsi que le chargé de communication étant absents, personne n'a pu nous renseigner sur cette "foule" qui serait venue. D'ailleurs à l'intérieur du centre, beaucoup de travaux sont en cours et, hormis les ouvriers affairés à leurs tâches, peu de visiteurs profitaient de la fraîcheur de ces lieux. Le portrait d'Hervé Gourdel accueillant les convives à l'entrée de cette station climatique semble faire l'effet d'une plaie mal cicatrisée. Malgré l'assassinat du ressortissant français, le cours de la vie continue à Tikjda, avec ou sans ses visiteurs. H. B.