Chez les avocats, la décision du gouvernement d'abolir la peine de mort, annoncée samedi dernier par le ministre de la Justice Tayeb Belaïz, ne fait pas consensus. Hier, au tribunal d'Alger, l'heure était plutôt aux affaires courantes. Comme d'habitude. La peine de mort ? De vieux militants en faveur de son abolition, à l'image de Miloud Brahimi, applaudissent à la mesure gouvernementale. D'autres, comme cet enseignant de la Faculté de droit de Ben Aknoun, la trouvent dépassée par le temps. D'autres encore, à l'instar de ce vieux criminologiste, estiment devoir répondre par la nuance. Avis donc partagés pour une affaire subitement déterrée. Pour Miloud Brahimi, “la suppression, même limitée, de la peine capitale, est une bonne nouvelle, une mesure à saluer chaleureusement”. Il regrette qu'elle ne soit pas “générale mais, ce qui est pris n'étant plus à prendre, applaudit et espère assister à une préparation à son abolition définitive”. Le ministre de la Justice, qui, dans le même temps, défendait deux projets de loi devant les députés (l'un concernant le statut de la magistrature, l'autre le Conseil supérieur des magistrats) avait bien précisé samedi le caractère partiel de la mesure ; celle-ci ne touche, en effet, pas les affaires liées au terrorisme, l'atteinte à la sûreté de l'Etat, la trahison et les crimes d'infanticide et de parricide. Le sentiment de regret de Me Brahimi tient à ce fait terroriste justement. “Je ne comprends pas, dit-il, le maintien de la peine de mort dans certains cas, à l'exemple du terrorisme, alors même qu'elle a été suspendue depuis 1993, c'est-à-dire au moment où elle aurait sans doute été appliquée à ces cas !” Officiellement, les dernières exécutions ont été pratiquées sur quelques-uns des auteurs de l'attentat à la bombe perpétré contre l'aéroport d'Alger, en août 1993. “La logique, ajoute l'avocat, aurait voulu qu'on tire les conséquences de cette suspension en abolissant purement et simplement cette peine, en toutes circonstances et pour tous les délits”. C'est pourquoi le criminologiste répond tout de suite par la nuance. Ce vieux routier parle en connaissance de cause, il a vu au moins un de ses clients passer par la peine de mort. Il affirme, sous couvert de l'anonymat, être en faveur de son application pour certains cas et contre pour d'autres. “Je travaille sur les crimes depuis plus de vingt ans, précise-t-il. Or, il faut savoir de quel type de crime on parle : crime économique, crime de sang ou crime de guerre ? Evidemment, la peine de mort concerne surtout les deuxième et (à un degré moindre) troisième types. Pourquoi serais-je contre quand il s'agit d'un individu coupable d'une boucherie, d'un attentat, d'un crime crapuleux ? Encore faut-il toujours s'entourer des meilleures assurances quant à l'état mental de la personne. Dans les sociétés avancées, comme les Etats-Unis, la peine de mort n'a pas encore quitté le domaine de la polémique. Je veux signifier que cela dépend aussi de la nature de l'Etat, voire de la société. Pour le cas Algérie, je maintiens mon raisonnement nuancé”. À ce sujet, Miloud Brahimi invoque le bon sens, à juste titre. “Si on n'a pas exécuté les auteurs de massacres, de viols suivis d'éventration de femmes enlevées, je ne vois pas quel type de crime demain pourrait être susceptible de la peine de mort ?” s'interroge-t-il en guise d'indignation. Alors, sans doute, l'enseignant de la Faculté de droit a-t-il raison : “La peine de mort n'est plus d'actualité.” L. B.