Le ministre de la Justice, à l'occasion d'une rencontre régionale hier, fait part de son intention de déposer un projet de loi mettant fin à la peine capitale. Simple effet d'annonce quand on sait le sort réservé aux libertés ces derniers jours. Tayeb Belaïz, ministre de la Justice et garde des Sceaux, est décidément un homme imprévisible. Il a ce rare don de surprendre son monde. Au moment où pratiquement personne ne s'y attendait, et comme par enchantement, voilà qu'il annonce avec grand fracas son intention d'abolir la peine capitale en comptant soumettre à “l'auguste assemblée” un projet de loi allant dans ce sens. Intention qu'il a dévoilée, samedi dernier, à l'occasion d'une rencontre régionale des magistrats des wilayas du Centre. Abolition de la peine de mort ? Pour répondre à quelle demande sociale ? Surtout que l'application de la peine de mort est gelée depuis…1993. L'urgence n'est-elle pas plutôt à la prise en charge de l'épineuse et très sensible question de l'indépendance de la justice, et par ricochet, la protection du magistrat de toute pression politique, qui a accaparé l'essentiel du débat public et, des mois durant, à la suite du rocambolesque épisode automnal de “la justice de nuit” pour mettre le parti du FLN sous la coupe du mouvement de redressement ? Plus proche encore, et au regard de la grande mobilisation des professionnels des médias, n'est-ce pas celle de la dépénalisation du délit de presse qui doit être, du point de vue du simple bon sens, le souci premier de M. Belaïz notamment avec ce qui est arrivé au directeur du Matin, Mohamed Benchicou, et au correspondant de Djelfa et militant des droits de l'Homme Ghoul Hafnaoui ? Deux épisodes récents qui ont bien écorné, pour ne pas dire éclabousser, l'image de marque du pays, celle de l'institution judiciaire en premier chef, à l'intérieur comme à l'extérieur. C'est pourquoi, si dans la forme, la proposition de M. Belaïz est assez généreuse et, surtout, inattaquable — quel citoyen soucieux du respect de l'intégrité physique de la personne humaine, s'opposera à la suppression de cet abominable châtiment ? — l'on ne peut ne pas s'interroger si elle n'est pas sous-tendue par des arrière-pensées politiques. De la suspicion ? Possible. Mais les faits sont là. Cette décision intervient dans un contexte bien particulier. C'est-à-dire la mise en branle d'une féroce campagne de harcèlement contre la presse indépendante ayant atteint son pic avec l'incarcération de deux journalistes, Mohamed Benchicou et Hafnaoui Ghoul ainsi que la vente au rabais du siège du Matin pour donner le coup de grâce à ce journal. Elle intervient surtout au moment fort de la mobilisation de la corporation tant au niveau national qu'international dénonçant les atteintes aux libertés de la presse et d'expression. Est-il besoin de signaler que le comité national pour la libération de Mohamed Benchicou et de Hafnaoui Ghoul s'est d'abord rendu auprès des ambassadeurs du pays du G8 à Alger avant de monter à Paris et à Bruxelles pour animer des conférences de presse et rencontrer les membres de la Commission européenne. Aussi, on est en droit de penser que la proposition de M. Belaïz ne cherche en fait rien de plus que l'effet d'annonce. Elle exhale les relents d'une manœuvre visant à saborder le titanesque travail de sensibilisation entrepris par les professionnels de la presse auprès de l'opinion internationale. Et, par ricochet, soigner un tant soit peu l'image ternie d'un pouvoir pris “la main dans le sac”, c'est-à-dire en flagrant délit de dérive liberticide. En se payant, à moindre frais, une coquetterie en se drapant des oripeaux d'un humanisme de mauvais aloi. Il est connu que l'essentiel de la culture politique des hommes de notre système se résume à ces deux pierres angulaires que sont la ruse campagnarde et autre petite combine. Devant l'adversité, on a toujours recouru à la manœuvre. C'est dire que l'imperturbable impavidité affichée jusqu'ici par le pouvoir n'est finalement rien d'autre que du vernis. Il est bien affolé et plus que jamais dans la gêne. Expliquant les motivations de sa décision, M. Belaïz a argué de son abolition dans l'écrasante majorité des pays. Mondialisation oblige, “(…) nous n'avons pas d'autres choix que de la supprimer de notre propre gré avant qu'on nous l'impose”, explique encore M. Belaïz. C'est le cas aussi du délit de presse. Il est vrai que pour les autorités, les condamnations des deux journalistes n'ont rien à voir avec leurs écrits. Une autre manœuvre pour se tirer de l'embarras. A. C.