Liberté : Contre toute attente, les Américains viennent d'annoncer le transfert de la souveraineté aux Irakiens deux jours avant la date officielle. Comment interprétez-vous cette décision ? Pascal Boniface : Je pense que ce sont des considérations sécuritaires qui ont conduit les Américains à annoncer le transfert de la souveraineté aux Irakiens, deux jours avant la date officielle du 30 juin. Les gouvernements américain et irakien avaient sans doute très peur d'attentats et d'opérations de la guérilla lors de la passation de pouvoir. Ils ont donc voulu prendre de vitesse les terroristes et la guérilla. Mais, en réalité, au fond, rien n'a changé : il n'y a pas de rupture avec la situation actuelle. Je ne crois pas que les violences cesseront par le seul fait qu'il y ait un gouvernement irakien investi. Quels sont les changements que ce transfert de souveraineté va provoquer ? Ce que l'on peut craindre, c'est qu'il n'y ait pas sur le terrain une véritable souveraineté du gouvernement irakien. Il pourrait encore dépendre de l'ambassadeur américain à Bagdad et des troupes de la coalition présentes sur le sol irakien. Dans ce contexte, il y a deux scénarios possibles. Soit ce nouveau gouvernement prend des libertés avec les Etats-Unis. Dans ce cas, il pourrait gagner une certaine crédibilité aux yeux des Américains. Mais s'il ne montre pas son indépendance à l'égard des Américains, le gouvernement irakien n'aura aucune légitimité vis-à-vis des Irakiens. Le gouvernement irakien aura-t-il un contrôle sur la gestion des opérations militaires et la lutte contre la guérilla ? Tant que la sécurité n'est pas rétablie, il n'y aura ni redémarrage économique ni stabilité qui permettront la mise en place des institutions du nouvel Etat irakien. Mais le gouvernement irakien n'a pas encore les moyens de mettre en oeuvre une réelle politique de sécurité. Dans ce domaine, il dépendra donc encore des troupes de la coalition présentes en Irak. Avec ce transfert, le président américain ne cherche-t-il pas à gagner du temps en attendant la présidentielle de novembre prochain ? George W. Bush cherche par tous les moyens à montrer aux électeurs américains que les choses vont bien, qu'il y a un nouveau gouvernement stable et que sa politique a le soutien de ses alliés au sein de l'Otan. Ce qui est peut-être vrai en présentation, mais pas dans la réalité. Mais pour le président américain, c'est la présentation qui compte afin de pouvoir contrer les arguments de son adversaire démocrate, John Kerry, qui lui reproche d'être isolé sur le plan international. Ce week-end, les membres de l'Otan, pressés par Washington, ont accepté de participer à la formation des soldats irakiens… C'est une réponse purement diplomatique à l'égard de Washington. Mais cette décision ne change strictement rien à la réalité : il n'y aura pas d'envoi de troupes supplémentaires de l'Otan, qui participeront aux opérations et même dans le processus de formation des militaires irakiens, le drapeau de l'Otan ne sera pas utilisé. Quels sont les scénarios envisageables pour l'avenir de l'Irak ? Je crois que nous sommes trop dans l'incertitude pour envisager des scénarios. L. G.