Objet de diverses interprétations, la démission, somme toute énigmatique, du général de corps d'armée, Mohamed Lamari, vient enfin de livrer, en partie, quelques facettes de ses motivations. Même si l'ex-homme fort de la première institution du pays ne dit pas tout, préférant comme d'usage recourir à des non-dits, il n'en demeure pas moins qu'il suggère, de façon subtile, les motivations de ce qui est perçu par de nombreux observateurs comme une première dans les annales de la pratique politique dans le pays. Dans un ordre du jour adressé aux officiers, aux sous-officiers et djounoud paru dans l'édition de la revue El-Djeïch en date du 3 août, l'ex-général de corps d'armée semble comme sous-entendre qu'il “a accompli sa mission” et qu'il appartient désormais aux jeunes générations de “prendre la relève”. Façon, d'une part, de délivrer un message fort éloquent à ses détracteurs et selon lequel il n'est pas forcément “obsédé par le poste”, mais aussi d'essuyer d'un revers de main les arguments avancés par la présidence de la République selon lesquels il aurait démissionné pour “des raisons de santé”. “Si l'on devait dresser le bilan de la période passée, celui-ci serait globalement positif, car la sécurité et l'ordre publics ont été rétablis, la normalité institutionnelle a été restaurée, notre pays a pu briser le boycott dont il était l'objet et reprendre de nouveau sa place sur la scène internationale et l'Armée nationale populaire, après avoir été distraite pendant de longues années par la lutte antiterroriste, a réactivé le processus de sa modernisation, de son développement et de sa professionnalisation”, écrit-il avant d'ajouter : “Pour toutes ces raisons, nous pouvons légitimement considérer qu'ensemble nous avons accompli la mission qui nous incombait durant la décennie écoulée et que nous avons accepté d'assumer devant Dieu et les hommes.” Il y a là, en filigrane, autant l'expression d'un devoir accompli “en toute conscience”, qu'une manière d'assumer l'étiquette, aux relents “suspects” chez ses détracteurs, d'un “éradicateur”. En tout cas, pour l'ex-chef d'état-major, la décision de “quitter” ses fonctions découle du “sentiment du devoir accompli”. “Pour ce qui me concerne, ma décision de quitter mes fonctions de chef d'état-major de l'Armée nationale populaire découle de ce constat”, dit-il. Aux observateurs qui accréditent la thèse selon laquelle sa décision est motivée par de prétendues divergences autour de la réconciliation nationale, Mohamed Lamari revendique même la paternité de loi sur la “rahma” et la “concorde civile”. “Tout en menant sur le terrain un combat sans répit contre les groupes terroristes, nous avons été à l'origine de deux mesures fondamentales qui ont eu pour résultats de réduire la capacité de nuisance de ces groupes, en amenant nombre d'entre leurs membres à déposer les armes et à se rendre : la première mesure concerne la loi sur la rahma, qui a ouvert la loi au repentir individuel de terroristes, la deuxième a trait à la reddition des membres de l'AIS et la dissolution de cette organisation dans le cadre des dispositions dites de la concorde civile”. Cependant, le désormais ex-homme fort de l'ANP ne manque pas de planter quelques banderilles à l'endroit des détracteurs de l'ANP. M. Bouteflika est-il visé ? Appréciez la littérature : “(…) Les accusations les plus abjectes et les thèses les plus farfelues ont été échafaudées et montées de toutes pièces pour travestir la réalité et faire passer les membres des forces de l'ordre pour des criminels et les terroristes pour des victimes innocentes. Mais nous avons réussi à chaque fois à faire échec à ces campagnes orchestrées par les ennemis de l'Algérie, à l'intérieur comme à l'extérieur, même si, parfois, nous nous sommes retrouvés seuls, terriblement seuls”. La solitude évoquée par Lamari laisse clairement suggérer que les autres institutions n'ont pas joué le rôle qui leur est échu, du moins celui attendu d'elles. Enfin l'ex-chef d'état-major rappelle qu'il a quitté ses fonctions à “sa demande” et qu'il reste toutefois attaché “affectivement” à l'ANP non sans justifier quelques décisions prises au sein de l'institution durant la décennie écoulée. “Pendant cette période tumultueuse, nous avons dû faire parfois preuve, dans nos rangs, de sévérité dans certaines de nos décisions, mais cette attitude était dictée tant par la gravité des défis et dangers auxquels le pays était confronté, que par le souci d'instaurer la rigueur au regard de ces circonstances exceptionnelles (…)”. K. K.