“Je ne suis pas un historien, mais je partage la vision des chercheurs qui veulent démythifier une guerre de libération menée par le peuple, mais confisquée et détournée à des fins de légitimation politique par des dictateurs qui se sont succédé au pouvoir depuis l'indépendance.” Figure emblématique de la Révolution, l'un des grands acteurs encore vivants du combat libérateur, Hocine Aït Ahmed, président du Front des forces socialistes (FFS), aujourd'hui en exil en Suisse, persiste et signe : l'Etat apocalyptique dans lequel se débattent les Algériennes et les Algériens n'est pas dû au hasard ni à une fatalité quelconque, mais découle autant du “coup de force contre l'Assemblée nationale constituante” à l'indépendance du pays que de la “perversion” des idéaux du Congrès de la Soummam dont l'un des principes fondamentaux est la primauté du politique sur le militaire. “Je ne voudrais pas confisquer le regard, mais je pense que la cause originelle des 4 décennies d'une gestion catastrophique tient sa source du coup de force contre l'Assemblée nationale constituante et de la violation de la légitimité populaire. L'Algérie a raté son départ et l'Etat est mal parti pour disparaître progressivement au profit d'instances privatisées et de pratiques autoritaires”, écrit-il dans un message à l'occasion du 48e anniversaire du Congrès de la Soummam tenu à Ifri-Ouzellaguène (Béjaïa) le 20 août 1956. Aït Ahmed qui rappelle qu'il a déjà par le passé évoqué le contexte de l'organisation du congrès et dénoncé “la désinvolture avec laquelle des attaques injustes, voire des accusations de trahison avaient été proférées et répétées contre les organisateurs de cette réunion”, tout comme il avait expliqué “les dérives désastreuses” pendant la guerre et à l'indépendance soutient qu'il faut “décoloniser” l'Histoire. “Nous ne craignons pas les mots : décoloniser l'Histoire, c'est la libérer des manipulations continuelles des groupes militaro-policiers, c'est restituer à la nation sa mémoire, sa fierté et sa dignité. C'est redonner aux Algériennes et aux Algériens confiance en eux-mêmes pour reprendre en main pacifiquement leur destin”, dit-il. “Ce retour à la légitimité populaire et la volonté de construction d'un Etat et des institutions démocratiques à tous les niveaux, furent le fondement même de la plate-forme de la Soummam”, ajoute-il encore. D'ailleurs, le leader du FFS ne manque pas de s'interroger autant sur le recours des tenants du pouvoir à l'instrumentalisation du passé que sur le regard qu'auraient porté les congressistes de 1956 sur l'Algérie d'aujourd'hui. “Fallait-il oublier ou instrumentaliser ainsi le passé pour faire prévaloir les manœuvres politiciennes du présent avec pour conséquence de frapper de cécité et d'amnésie les narcissistes névrosés du pouvoir ? Au point de les rendre aveugles sur eux-mêmes (...).” “Est-il interdit de se demander quel regard porteraient les congressistes de 1956, notamment sur l'état de la nation Algérie en 2004, sur la stratégie de la terre brûlée en Kabylie et sur les complots successifs du pouvoir destinés à mettre un point final à toute vie publique et à toutes les libertés d'expression, d'organisation et de participation citoyenne ?” Enfin, il rappelle qu'il continuera à se battre pacifiquement pour la concrétisation des idéaux du Congrès de la Soummam. K. K.