Chassez le naturel, il revient au galop. Le gouvernement vient de faire un bond extraordinaire… en arrière dans sa gestion de la manne publicitaire publique. En effet, onze ans presque jour pour jour après la fameuse circulaire de Belaïd Abdesselam, qui enjoignait aux patrons des entreprises étatiques et autres institutions d'orienter leur publicité vers certains journaux uniquement, Ahmed Ouyahia remet cette trouvaille monopolistique au goût du jour. En date du 18 de ce mois, le Chef du gouvernement a, en effet, “pondu” une décision dans laquelle il instruit les administrations publiques, les entreprises publiques économiques, les établissements publics à caractère industriel et commercial, ceux à caractère administratif, les banques et tout autre organisme public, à acheminer traiter et contracter leur publicité et annonces exclusivement par le canal de l'Anep. Par cette instruction, Ahmed Ouyahia vient de réinstaller un monopole de fait sur la réclame publique tout à fait incompatible avec les règles de l'économie de marché. Pis, le Chef du gouvernement menace de sanction tout responsable d'une boîte publique qui oserait enfreindre cette règle à compter du 1er septembre prochain. “… toute dépense de publicité et d'annonce contractée, à partir du 1er septembre 2004 en violation de cette décision, sera purement et simplement rejetée par les contrôleurs financiers et les commissaires aux comptes, constituera un manquement par les responsables concernés et entraînera la mise en débet des ordonnateurs l'ayant engagée”, précise le communiqué de la chefferie du gouvernement. Cette nouvelle emprise annoncée sur la manne publicitaire est justifiée, officiellement, par le souci de “rationaliser la dépense publique en matière de publicité et annonces et de la rendre plus efficace en s'appuyant sur l'Anep qui aura à jouer un rôle de régulateur au service des annonceurs publics”. Si, a priori, cet exposé des motifs paraît convaincant en ce sens que les pouvoirs publics se doivent de veiller au bon usage de l'argent du contribuable, il reste que le contexte choisi cache mal une arrière-pensée politique visant à étouffer certains titres de la presse qui vivent quasi exclusivement de la publicité publique. L'argent étant le nerf de la guerre, le pouvoir serait tenté de recourir à cette arme redoutable pour obtenir la “normalisation-soumission” de certaines lignes éditoriales qui ne sont pas rentrées dans le moule officiel. Vue sous cet angle, l'instruction a tout l'air d'être une autre réplique de la secousse du 8 avril. Les journaux de la presse indépendante s'attendaient du reste à voir s'abattre la main lourde du pouvoir pour n'avoir pas misé sur le cheval gagnant. L'épisode de l'emprisonnement du directeur du Matin pour des chefs d'inculpation pas du tout évidents est perçu comme le début de la grosse cabale contre les journaux. Il est connu que la plupart des publications tirent leurs revenus de la publicité. En les privant de cette rente, cela équivaudrait pour elles à mettre tout simplement la clé sous le paillasson. Et c'est ce que semble rechercher le gouvernement qui, à défaut d'obtenir l'allégeance de ces titres à la ligne politique voulue, décide d'obtenir les “têtes” de ces journaux en les asphyxiant presque “légalement”. Le procédé est à la fois pernicieux et antiéconomique. Pernicieux, parce qu'il vise à terme à casser politiquement des entreprises économiquement florissantes. Antiéconomique, car cette façon de faire est tout à fait antinomique avec le discours officiel qui loue la liberté d'entreprise, la compétitivité mais surtout les vertus de l'économie de marché. Est-il économiquement acceptable et politiquement défendable d'imposer un monopole publicitaire au moment où les autorités se gargarisent du discours rassurant genre “il n'y a pas de différence entre le public et le privé” ? À l'heure où l'Algérie tente laborieusement de revoir sa copie pour accéder enfin à l'OMC, cette décision tombe comme un cheveu sur la soupe, en ce qu'elle consacre le retour aux vieux préceptes du socialisme. C'est dire que la circulaire de Ouyahia ne peut être expurgée de ses visées politiques contrairement à l'objectif noble proclamé. Il va sans dire que la publicité publique a fait éclore d'innombrables fortunes via les fameuses boîtes de communication qui, dans la plupart des cas, appartiennent aux gérants des entreprises publiques ou leurs proches. Ce marché est tellement juteux qu'il a prospéré dans la périphérie des entreprises et organismes publics au nez et à la barbe des responsables. Ce sont donc ces intermédiaires entre les journaux et les entreprises qui ont saigné à blanc les finances publiques avec des factures salées moyennant des prestations insignifiantes. Mais, tel ne semble pas être le motif de ce tour de vis gouvernemental. Parce que beaucoup de journaux de la presse privée ont subi par le passé le diktat de l'Anep, il est difficile de ne pas soupçonner un retour de bâton. H. M. Agences de publicité Les premières victimes Suite à la circulaire du Chef du gouvernement de nationaliser la publicité en faisant fi de toutes les règles du marché et des engagements pris tant nationaux qu'internationaux, vu que cette mesure discriminatoire et injuste frappe de plein fouet, les travailleurs et les cadres de quelque 400 agences qui ont accepté d'investir sur le terrain, dans la capitale et dans les wilayas permettant à des milliers de familles de vivre du produit de la publicité conventionnelle et compétitive, dans les moments les plus difficiles qu'a traversés le pays : nous lançons un appel pressant aux responsables des agences de publicité intéressés de nous contacter à ce numéro : 021 66 38 63 pour nous organiser et défendre nos intérêts bafoués. Smaïl Boudechiche, directeur de l'agence Edition 48.