L'ascèse du jeûneur algérien passe par des voies bien terrestres. Les autorités, ayant en phobie les ruptures de stocks qu'elles n'ont pas elles-mêmes provoquées, s'efforcent chaque année, à la veille du mois de ramadhan, de rassurer le consommateur par des déclarations suffisamment chiffrées pour atteindre leur but d'apaisement. Côté viande fraîche, celle qui donne à la chorba sa saveur et aux plats d'accompagnement leur consistance, les arrivages seront massifs et, semble-t-il, leur simple annonce a suffi à amener à résipiscence toute une chaîne “faunistique” de chevillards, maquignons et bouchers qui cotaient le produit bien plus haut que la bourse du travailleur. Au marché de la viande comme au marché pétrolier ! 3 000 tonnes de viande fraîche, le chiffre peut paraître anodin. Il faut faire comme pour le dinar et l'effet super grossissant de la conversion en centimes pour s'en faire une meilleure idée. Ce sont donc trois millions de kilos de viande qui, dès les premiers jours du mois sacré, vont inonder le marché, casser les prix prohibitifs et donner peut-être à réfléchir à des éleveurs qui prennent plaisir à retenir en otage un cheptel national qui place l'Algérie en position d'exportatrice. Pour autant, les appels réitérés à la frugalité qu'est censé dicter ce mois d'endurance morale et physique n'ont pas plus d'effet que les sermons des imams vertueux mettant en garde contre la triche sur les poids et mesures ou les pratiques spéculatives de commerçants qui, après la rupture du jeûne, se bousculent au portillon des mosquées pour les “Taraouih”, les prières surérogatoires. Ramadhan, décidément, est un mois qui porte toutes les ambivalences. Celle du détachement mystique de l'âme qui veut bien se laisser emporter par un courant ascendant et celle de l'enveloppe corporelle qui refuse de sacrifier sa part de péchés et de faiblesses terrestres. Il paraît que l'Algérie est, dans le monde arabe, le pays qui bat tous les records de cherté de la vie pendant le ramadhan. Mieux, sous d'autres latitudes tout aussi musulmanes, les commerçants se rapprochent du Créateur en consentant, à leur désavantage mais au profit du consommateur, une baisse des prix sur les produits qui vont faire la pitance des gens modestes et humbles. Comme quoi, en Algérie, si le devoir de piété est invoqué pour une grande communion confiante, c'est aussi pendant ce mois que les services de répression des fraudes sont le plus sollicités. Mais, honnêtement, qu'y peuvent la foi et la trique contre l'implacable loi du marché ? Même dans les pays développés, les ventilateurs se raréfient par temps de canicule. Mais l'un dans l'autre, la disponibilité onéreuse est de loin préférable à la pénurie à prix raisonnable des souks el-fellah et des Galeries. Même si l'effort va être en berne et la bigoterie stimulée, les Algériens pourront toujours profiter de veillées tranquilles, ce qui n'est pas peu quand on se rappelle les ramadhans de la dernière décennie. A. H.