Les Algériens savent, à présent, de quoi l'homme est capable pour garder le pouvoir. Cela étant, le pays est descendu aujourd'hui trop bas... Avec une actualité politique et économique plutôt riche, le forum de Liberté a invité, hier, Mohcine Belabbas, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), afin d'exposer son analyse de la situation générale du pays, de proposer les pistes de sortie de crise et aussi répondre aux questions qui peuvent intéresser ou préoccuper l'opinion. Dans son laïus préliminaire, l'hôte de Liberté est revenu sur un constat, à savoir l'impasse actuelle : "Les avis sont unanimes. Personne ne peut nier que nous sommes dans un système politique figé, crispé, incapable de mener les réformes que la situation impose. L'absence de cap et de vision sur l'avenir chez les dirigeants, qui n'ont d'autre objectif que de se maintenir en place en continuant à capter la rente par la dilapidation des richesses de l'Algérie au prix d'un appauvrissement général du pays, est une stratégie qui arrive à terme." Une déchéance qui trouve son origine, selon l'orateur, dans "des foyers de tensions (qui) naissent un peu partout sur le territoire national et dans tous les domaines de la vie publique". D'après lui, le pouvoir aujourd'hui, complètement "dépassé", n'a de recours qu'aux seules méthodes de contrôle policier de la société qui excluent, selon son assertion, toute "lucidité et analyse". De ce fait, le pouvoir n'arrive pas à prendre la juste mesure de la gravité des problèmes qui agitent les scènes politiques, économiques, sociales du pays ainsi que son voisinage immédiat. Belabbas en veut pour preuve les revendications sociales et de justice des populations du sud du pays qui se heurtent à l'appareil de répression du régime. "Avec l'envoi du directeur général de la Sûreté nationale à In-Salah pour dialoguer avec les représentants des manifestants contre l'exploitation du gaz de schiste, un autre palier dans la dégradation de l'Etat vient d'être franchi. L'aveu est terrible. Pour le pouvoir, rien n'existe en dehors des démembrements sécuritaires." Pourtant, pour le président du RCD, le mécontentement mûrit dans cette région du pays depuis des décennies. Sur ce chapitre, Belabbas est convaincu que le problème est d'essence d'abord politique : "Les citoyens souffrent d'un déficit de représentation et vivent une situation d'abandon, de marginalisation et de mépris de la part, à la fois, des élites, du gouvernement et des médias publics et parapublics. La cassure et la suspicion qui se sont installées entre ces populations, sous-représentées dans la sphère politique et économique et les institutions publiques sont des signes qui ne trompent pas." Une telle situation, dont le pouvoir refuse aujourd'hui de voir la nature et la profondeur, était pourtant devenue prévisible. "On était les premiers en 2004 à alerter sur cette situation. On avait des informations et on savait qu'au Sud, il y a un débat sur l'autonomie !", précise-t-il, en notant que le RCD est implanté dans les 48 wilayas du pays, contrairement à une idée répandue par le pouvoir qui allègue, à travers ses différents relais, que ce parti serait implanté uniquement en Kabylie. Il est vrai qu'en matière de prospective et d'anticipation, nos dirigeants sont aujourd'hui aux abonnés absents et complètement "out". Quand bien même ils ont à leur service des cadres chevronnés, des conseillers et même des oracles qu'on appelle les Spin-doctors, ils n'écoutent finalement que leur petite voix intérieure qui, elle, leur commande de ne jamais faire de vague ! Aussi, on ne devrait plus s'interroger sur les raisons qui font que ce pays navigue à vue dès lors qu'on sait que la seule politique de nos dirigeants est de se maintenir aujourd'hui en place. Exit les études de prospective afin d'anticiper les évènements, l'essentiel, pour eux, est de durer, coûte que coûte. Il leur semble ainsi impossible de faire amende honorable et de comprendre que renoncer au pouvoir est, d'abord, un acte souverain qui les grandirait aux yeux de tous. Enfin, n'est pas Mandela qui veut ! L'opposition, une chance pour le pouvoir Pourtant, l'opposition, dont le RCD, n'a cessé de proposer des alternatives au pouvoir. "Dans notre offre politique, on leur tend la perche. On leur donne aussi une occasion de s'en sortir. Bouteflika peut en effet institutionnaliser par décret l'instance indépendante de surveillance des élections et en annonçant l'élection présidentielle anticipée, il aura le choix de la date. De même qu'on ne lui interdit pas de se présenter..." Il faut dire que l'idée dont est particulièrement fier le président du RCD est sans conteste l'institutionnalisation d'une instance indépendante de surveillance des élections qui fait aujourd'hui, selon lui, l'unanimité au sein de la classe politique : "Plus de 45 partis politiques agréés et 35 personnalités nationales reconnues y ont adhéré." Dans l'offre politique du RCD, il y avait aussi, rappelle-t-il, "la transition démocratique, l'application de l'article 88 de la Constitution, la dissolution de la police politique..." Bref, autant de "thèmes" qui continuent, à sa grande satisfaction, à animer le débat politique actuel. "Cela dit, les conditions de l'exercice de la politique en Algérie n'existent pas. Nous n'avons pas la manne financière dont disposent les partis du pouvoir. Savez-vous que pour louer la salle Harcha, on vous exige 100 millions de centimes ? La conférence de Mazafran nous a coûté la bagatelle de 97 millions de centimes...". En plus de la contrainte financière, il ajoutera que son parti fait face régulièrement à des manœuvres politiques et à des pressions de l'administration. S'agissant des mesures d'austérité qui se profilent à l'ombre de la chute des prix du pétrole, Belabbas recommande d'abord de réduire le train de vie de l'Etat, les hauts salaires, le nombre de représentations diplomatiques à l'étranger, le nombre de ministères soit 36, les subventions accordées aux partis politiques, soit 1 080 milliards de centimes en 5 ans, etc. "C'est une litote que de dire que l'aisance financière des quinze dernières années, au lieu de servir à investir dans la création et l'épanouissement des entreprises, l'élargissement des domaines de production, dans la recherche et le développement, elle a été utilisée pour financer une compilation de réalisations sur lesquelles les clientèles du régime ont fait main basse. L'autoroute Est-Ouest, le Fonds pour le développent de l'agriculture, les nombreuses dotations hors budget, l'opacité organisée autour de la gestion de Sonatrach... ne sont que la face visible de l'iceberg de la rapine qui a marqué la gestion de quatre mandats qui auront hypothéqué les destins de plusieurs générations". Pour lui, les économies à réaliser sont du côté du sérail : "Oui, qu'ils commencent d'abord par payer leur loyer et leur électricité à Club-des-Pins au lieu de faire payer aux couches défavorisées leurs erreurs depuis une quinzaine d'années. On veut faire croire au citoyen qu'il doit payer à l'hôpital alors que les soins ne sont pas gratuits en Algérie. On continue à recruter dans la police, un corps en sureffectif pour réprimer les manifestants. Et cela tout le monde le sait !" De toute manière, pour ce leader de l'opposition, les problèmes récurrents de gouvernance en Algérie ne renvoient pas uniquement à une question de manque de ressources ou d'erreur de management, "même si le pays est piloté actuellement par l'un des gouvernements les plus faibles en termes de compétences et d'expertise depuis l'Indépendance". D'après lui, "les problèmes des Algériens sont d'essence politique, ils appellent un traitement et des solutions politiques". Il note que "le divorce" entre les citoyens et les institutions est profond. "L'administration en général est tenue en suspicion dans tous les domaines de la vie publique ; les passe-droits et la corruption sont la règle. Les forces de sécurité ont quitté le terrain de la protection des personnes et des biens pour s'ériger en organe de répression opérant au-dessus des lois devant toute revendication citoyenne, assimilée à une expression anti-nationale". Sadi n'est pas Chakib Khelil Sur ce point, des accusations dites d'atteinte au moral de la nation, Mohcine Belabbas a dû revenir sur l'information judiciaire ouverte par le parquet de Sidi-M'hamed (Alger) contre Saïd Sadi, son prédécesseur à la tête du RCD, suite à des propos qu'on lui a imputés sur Messali Hadj et Ahmed Ben Bella. "À ce que je sache, Saïd Sadi n'est jamais passé par la Cour des comptes. Il n'a pas été attaqué en justice pour détournement de fonds. Sur ce plan, les Algériens attendent plutôt de voir Chakib Khelil, traduit en justice, que l'affaire Khalifa ou celle de l'autoroute Est-Ouest aboutissent enfin devant les tribunaux. Vous savez, j'ai été formé à l'école algérienne et j'ai toujours appris que le rôle de Messali Hadj était loin d'être honorable à partir de 1953, que Ben Bella avait été démis de ses fonctions parce qu'il travaillait pour les services égyptiens, etc. Nous avons tout intérêt à débattre de ces sujets." Il faut signaler qu'avant d'être interpellé sur la question, l'invité de Liberté avait, dans son préambule, effleuré le sujet en évoquant une "privatisation de l'institution judiciare qui érige les obstacles pour étouffer des affaires de détournement de deniers publics qui font les unes des gazettes du monde entier ; une justice qui reste muette devant des menaces de mort proférées contre des citoyens, brille par son absence devant des meurtres commis lors de manifestations et qui se livre à des auto-saisines à la carte pour des propos qui relèvent d'un débat public nécessaire et attendu par des citoyens qui, au demeurant, lui accordent une attention qui se vérifie à chaque fois que l'occasion d'une libre expression est offerte". Au jeu des questions-réponses avec les journalistes, Belabbas s'est montré hier d'une grande disponibilité. Très affable, il n'a éludé, pour ainsi dire, aucune question. Invité à donner son point de vue sur la proposition de révision de la Constitution et des discussions qu'on prête à Bouteflika et aux généraux Gaïd Salah et Toufik sur ce sujet, l'hôte de Liberté se montrera intraitable. "Depuis que Bouteflika est gravement malade, il est toujours à la recherche d'une personnalité de passage à Alger pour se montrer. Même quand il rencontre son chef de cabinet Ahmed Ouyahia, cela est présenté comme un événement politique. Voilà à quoi on est réduit. C'est une humiliation supplémentaire pour l'Algérie !" Concernant la proposition de révision de la Constitution, le patron du RCD commencera d'emblée par rappeler que ce message "impérieux" à la nation a été formulé au bas d'un procès-verbal d'un Conseil des ministres. D'après lui, le pouvoir reconnaît, dans son aveu, l'échec des consultations précédentes et admet aujourd'hui que sans l'opposition, ces échanges n'ont eu aucune crédibilité : "Et ce n'est pas en discutant avec Toufik et Gaïd Salah qu'il va régler le problème", précise-t-il en insistant sur la nécessité d'associer d'abord le citoyen algérien en le faisant participer au débat avant de voter lors d'un référendum. "Nous devons donner à l'Algérie en urgence un président légitime, voilà mon souci !", martèle-t-il, sans détours. Sur ce chapitre du rôle de l'armée, Belabbas rappelle que la grande muette ne doit pas s'ingérer dans le débat politique : "Ses missions sont connues. Gaïd Salah, en tant que chef d'état-major, n'a pas le droit de décider de quoi un parti politique doit parler ni de dire à l'opposition ce qu'elle doit faire !" Un rappel utile puisque le concerné a fait profil bas depuis : "Je vous signale qu'il n'a pas répondu à notre interpellation lui, qui, d'habitude, est si prompt à répondre. Cette fois, il s'est tu. L'armée doit reprendre sa place. Un parti politique doit rappeler aussi ces vérités..." S'agissant de la marche organisée à Alger contre les caricatures de Charlie Hebdo et qui aurait été attribuée à des islamistes, pour Belabbas, il n'y a aucun doute : "Celle-ci a été organisée par le pouvoir." À en croire l'expérience du terrain de ce marcheur invétéré, le message adressé par le pouvoir à l'opinion nationale et internationale est une fois encore, "sans nous, c'est le chaos". Il était dès lors attendu que le pouvoir exploite à fond la situation en surfant, une nouvelle fois, sur la colère, justifiée ou non, pour détourner les regards notamment sur la chute des cours du pétrole et la protesta contre l'exploitation du gaz de schiste dans le sud du pays. Concernant l'attaque proprement dite contre le journal satirique français, le président du RCD a rappelé la position intangible de son parti qui consiste, par principe, à condamner le terrorisme où qu'il se trouve ! M.-C. L.