Au ministère de l'Agriculture, on se demande si les quantités importées sont déterminées en fonction du besoin réel des consommateurs, ou de celui du gaspillage et des surcapacités industrielles des transformateurs. Une étude est prévue pour répondre à la question. Chaque Algérien critique son voisin lorsqu'il gaspille le pain. Pourtant, c'est bien l'affaire de tous. Il suffit de regarder, aux abords des poubelles, les quantités de pain rassis jetées au quotidien par des millions de consommateurs. Cela donne même lieu à un commerce. Des professionnels le collectent chaque jour et le revendent comme aliment pour les poules. Le blé subventionné sert, encore une fois, à nourrir les bêtes (lire reportage). Selon une évaluation du ministère du Commerce, chaque algérien consomme annuellement 201,9 kg de blé. La moyenne internationale se situe, selon la même source, autour de 66 kg par an et par habitant. Deux explications sont possibles. Les Algériens mangent trois fois plus de pain et de couscous, que tout le reste des citoyens de la planète. Ou alors, le gaspillage et le trafic (lire enquête) sont à l'origine de cette surconsommation supposée. Mais le consommateur n'est qu'en bout de chaîne. Le gaspillage se constate sur l'ensemble de la filière. La surcapacité de trituration est le second exemple. L'Etat a poussé à l'investissement dans la transformation. Il met, néanmoins, un garde-fou, en soumettant l'activité à étude par une commission. Malgré cela, il y a maintenant presque autant de moulins que de bouches à nourrir ! Plus concrètement, ces investissements sont actuellement sous-exploités. Ce qui représente un important manque à gagner. Même l'exportation d'une partie de la production est difficilement envisageable. Hormis le couscous, qui y est actuellement exporté, le marché européen n'offre aucune autre opportunité. Ce marché étant déjà saturé et, surtout, bien protégé. Le marché de prédilection pour la production algérienne serait l'Afrique. Certains opérateurs y ont déjà écoulé des marchandises. Mais depuis la fermeture des frontières sud du pays, le transport routier est suspendu. "Le transport maritime reviendrait trop cher", explique le patron de la marque Mama. Mais là encore, la réglementation de la subvention intervient. Pour exporter des produits, il faut importer son blé soi-même, au prix réel du marché (voir encadré chiffres). Très peu de transformateurs y ont recours. De plus, les meuniers n'importent que le blé dur. C'est dans ses dérivés que les marges bénéficiaires sont les plus grandes. Pertes à la chaîne Côté agriculture, il y a aussi du gaspillage. Outre les aléas climatiques, le non-respect des "itinéraires techniques", la moisson tardive ou même le mauvais réglage de la moissonneuse-batteuse, sont à l'origine d'importantes pertes sur les récoltes. Selon M. Omar Zeghouane, directeur général de l'Institut technique des grandes cultures (ITGC), "plusieurs actions de vulgarisation sont menées pour sensibiliser les agriculteurs à adopter des itinéraires techniques plus performants". Mais les mauvaises habitudes ont parfois la peau dure. "Alors qu'il est scientifiquement prouvé qu'alterner, une année sur deux, la culture du blé et celle des légumes secs, les agriculteurs croient qu'il est préférable de laisser la terre en jachère", explique le directeur de l'ITGC. Le directeur de l'institut estime que "les surfaces, actuellement en jachère, sont trop importantes et représentent une perte considérable en production céréalière". C'est donc encore un manque à gagner. Pourtant, à travers ses différentes "campagnes agricoles", l'Etat a investi des sommes colossales, dont une grande partie a été dédiée au développement de la céréaliculture : financement pour l'acquisition de matériels et subvention de la semence. "L'ITGC a conçu 18 nouvelles semences, offrant de très bonnes qualités à la transformation. Elles sont en cours d'homologation et seront bientôt disponibles au niveau des Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS), où les agriculteurs pourront les acheter", explique le directeur de l'ITGC. Ces politiques ont porté leurs fruits. Selon les estimations des experts, l'Algérie produit environ 60% de ses besoins en blé dur. Cela, avec un rendement moyen de 16q/ha. Il suffirait, donc, d'augmenter ce taux pour atteindre l'autosuffisance et envisager l'export. Pourtant, il existe des agriculteurs très performants : "le club des 50". Le chiffre 50 ne renvoie pas à leur nombre mais plutôt au rendement en quintaux de blé par hectare cultivé. La preuve que c'est possible. Pour y arriver, il faut respecter l'itinéraire technique et investir, notamment, dans des systèmes d'irrigation d'appoint. "Le climat peut provoquer jusqu'à 27% des pertes sur une récolte", soutient M. Zeghouane. Là encore, "l'Etat propose des subventions à hauteur de 50% du prix pour l'irrigation", indique, pour sa part, M. Youcef Redjem-Khodja, directeur de la régulation et du développement des produits agricoles, au ministère de l'Agriculture. Il en va de même pour les moissonneuses-batteuses. "Les vieilles machines causent plus de mal qu'elles ne rendent service", prévient Redjem-Khodja. Pour réduire les pertes qu'elles induisent, poursuit-il, l'Etat offre à l'agriculteur de récupérer l'ancienne et de financer l'acquisition de la nouvelle, à hauteur de 70%. Si ces subventions à la production ont un effet positif sur la céréaliculture, en revanche, le soutien à la consommation empêche la réduction des importations. La facture de 2014 s'élève à 3,5 Mds de dollars. M. Redjem-Khodja se demande si les quantités importées sont déterminées en fonction du besoin réel des consommateurs ou de celui du gaspillage et des surcapacités industrielles des transformateurs ? Il compte diligenter une étude sur le secteur pour y répondre. En attendant, tout est fait pour que le peuple ne manque jamais de pain et que les meuniers aient du grain à moudre. Or, en cette période de disette où les prix du pétrole sont en chute libre, l'Etat a annoncé sa volonté de réduire les importations. Mais alors pourquoi créer deux commissions chargées de scruter toutes les importations, lorsqu'il suffirait de se pencher d'abord sur celles réalisées par l'Etat ? Sans doute la crainte d'être décapité, comme Maire-Antoinette. Cette reine de France a été guillotinée pour avoir laissé son peuple mourir de faim. Sauf qu'en Algérie, c'est plutôt l'hémorragie du gaspillage qui aura raison de la stabilité. Lorsque les devises viendront à manquer... A. H.