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Attaque de Tiguentourine : les révélations des juges britanniques
Les résultats de l'enquête ont été rendus publics jeudi dernier à Londres
Publié dans Liberté le 28 - 02 - 2015

En rendant publics, jeudi à Londres, les résultats de son enquête judiciaire sur la sanglante prise d'otages du site gazier de Tiguentourine perpétrée en janvier 2013 par les terroristes, le juge Nicholas Hilliard du tribunal londonien d'Old Bailey a mis en évidence la responsabilité des islamistes dans la mort des employés britanniques ainsi que les failles de British Petroleum dans la sécurité de l'usine en raison notamment des coûts financiers que la mise en place de mesures allait engendrer.
Dans son édition de jeudi 26 février, le journal britannique The Guardian a publié l'intégralité de l'enquête judiciaire lancée en septembre dernier et dont les résultats ont été rendus publics par le juge Nicholas Hilliard. Dans son exposé, ce dernier a d'abord conclu que les six Britanniques ainsi que Carlos Estrada Valencia, le Colombien résidant au Royaume-Uni, avaient tous été assassinés par les terroristes. Il a cependant noté, mais sans fournir de preuves, qu'il était probable que la balle "qui a tué Stephen Green, l'un de ces sept otages, ‘ait été tirée par les forces algériennes'". Après quatre jours de prise d'otages spectaculaire où les terroristes de Belmokhtar venant de Libye ont pris d'assaut avant de piéger le site gazier, l'intervention des forces spéciales de l'ANP a non seulement éliminé le groupe armé mais sauvé toute la région d'une grave catastrophe. Le juge Nicholas Hilliard a ensuite pointé la responsabilité de la direction de l'usine gérée par BP conjointement avec Sonatrach et Statoil, en termes d'absence de mesures de sécurité à même de protéger ce type d'installation stratégique. "Les exercices de sûreté ont été rarement tenus, il n'y avait pas de gardes armés protégeant les bases de vie des travailleurs étrangers, les témoignages recueillis lors de l'enquête ont également révélé qu'il n'y avait pas de gardes armés aux entrées principales des bases de vie, ou même à proximité immédiate des quartiers d'habitation sur le site d'In-Amenas, qui est exploité conjointement par BP, Sonatrach et la compagnie norvégienne Statoil, les portes auraient souvent été laissées ouvertes", a affirmé le juge. Et d'ajouter que "les politiques d'évaluation des risques n'ont pas été à même de prévenir les véritables dangers et étaient incapables de déceler la probabilité d'une attaque terroriste".
Le chaos libyen mis en cause dans le drame de Tiguentourine
L'enquêteur n'a pas omis d'intégrer l'élément géopolitique, en l'occurrence le chaos libyen dans le tragique événement du 17 janvier 2013 qui, au-delà des victimes, était considéré comme la première atteinte à la base de l'économie nationale depuis le début du Printemps arabe. "Le champ de gaz n'était pas loin de la frontière avec la Libye, un Etat défaillant qui sombrait dans la guerre civile et qui était inondé par les armes", souligne le juge. Il faut savoir qu'au total, 39 travailleurs étrangers, l'agent de sécurité, Lamine Lahmar, qui s'est sacrifié en donnant l'alerte, ont été assassinés par les islamistes.
L'assaut des troupes spéciales de l'ANP a permis d'éliminer 29 terroristes après quatre jours de prise d'otages. Tout en relevant que les autorités algériennes auraient refusé de mettre à la disposition des enquêteurs des "documents-clés et des dossiers médico-légaux", l'officier de police judiciaire n'a pas pu confirmer une rumeur relayée par un journal algérien et selon laquelle "les terroristes cherchaient des informations sur les travailleurs britanniques en Algérie en vue de leur enlèvement". Même le gouvernement britannique a considéré cette éventualité comme peu fiable, a encore poursuivi le juge.
"BP n'a jamais dit à mon mari qu'il encourait des risques à In-Amenas"
Lors de son audition par les enquêteurs, le père de Stephen Green, a déclaré que "l'assassinat de son fils pouvait être évité. Les importantes améliorations de sécurité réalisées par BP et ses partenaires depuis l'attaque auraient empêché les terroristes de perpétrer ce carnage si elles avaient été effectuées plus tôt". Et d'ajouter : "Lorsque Stephen Green a été capturé, lui et d'autres otages, ils avaient tous été piégés par les terroristes. L'enquête a révélé qu'il avait refusé de s'agenouiller et dit à ses ravisseurs : Montrez-moi la balle que vous allez utiliser pour me tirer dessus". Les témoignages relatent également que "Stephen et quatre autres otages ont ensuite été placés dans une voiture, qui les a conduits à grande vitesse de la base de vie vers l'usine de gaz. Le véhicule s'est ensuite renversé et a pris feu ; les autres otages se sont échappés, mais Stephen est décédé d'une blessure par balle". Andrew Ritchie, un vice-président de BP qui a représenté Claudia Gaviria — la veuve de Valence —, a demandé si les patrouilles de sécurité, censées veiller sur la sécurité dans le désert environnant, ont été dépêchées dans la nuit de l'attaque. Gaviria, qui a assisté à l'enquête, a regretté "entendre la preuve présentée et de sentir que la mort de Carlos aurait pu et dû être évitée". Mon mari, a-t-elle dit, n'était jamais allé à In-Amenas avant et, autant que je sache, il n'avait reçu aucun avertissement de BP sur les risques qu'il encourait avant de s'y rendre. "À ce jour, je trouve qu'il est très difficile de comprendre comment Carlos pourrait simplement nous embrasser tous les jours et nous dire au revoir en partant vers le boulot pour ne jamais revenir. Pendant si longtemps, j'étais incapable de pleurer parce que je suis restée dans le noir sur ce qui est arrivé à Carlos pendant ces terribles jours de prise d'otages." Pour la veuve de Valence, "il est maintenant clair pour moi que les mécanismes de sécurité de base dans le site gazier étaient nuls et que des conseils de sécurité ont été tout simplement ignorés". Abondant dans le même sens, la veuve de John Sébastian s'est interrogée si "la mort de son mari aurait pu être évitée si toutes les mesures de sécurité qui avaient été identifiées comme nécessaires pour la protection des travailleurs sur le site avaient été mises en œuvre ?", avant d'exprimer son mécontentement à l'égard de BP. "Je suis en colère que BP ait choisi d'envoyer un jeune diplômé inexpérimenté vers une destination à risque telle qu'In-Amenas à une époque de troubles en bordure de la Libye et du Mali. Mon mari n'avait vraiment pas le choix de refuser ce job dans une entreprise qu'il aspirait tant à rejoindre", a-t-elle dit.
Les avocats des familles des victimes vont poursuivre BP en justice
Clive Garner, l'avocat de Irwin Mitchell, et qui représente également les familles de Valence et John a souligné, pour sa part, que ses clients sont "très déçus que BP continue de nier la responsabilité civile et nous invitons maintenant BP à accepter les conclusions du juge" et de prévenir que "si une solution négociée ne peut être trouvée très prochainement, nous allons engager une procédure judiciaire formelle contre BP dans les prochains mois". Ce que le juge a laissé entendre en affirmant qu'il n'est pas désormais exclu que BP soit traînée devant les tribunaux par des familles des victimes. Il faut savoir que le complexe gazier de Tiguentourine génère 4 milliards de dollars (2,6 milliards d'euros) par an, dont un quart revient à la compagnie britannique. La direction de BP n'a pas répondu à la demande des familles des victimes mais a tenu à réaffirmer que son objectif était d'éviter qu'un tel incident ne se reproduise à l'avenir.
S. T.


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