"De pseudo-hommes politiques, soutenus par une presse qui n'a aucun souci de son éthique professionnelle, s'évertuent, matin et soir, à effrayer et à démoraliser ce peuple, à saper sa confiance dans le présent et l'avenir, ce peuple qui n'a pas accordé et n'accordera pas de crédit à leurs sornettes." Message d'une rare violence à l'endroit de l'opposition politique et de la presse nationale que celui lu au nom du président de la République par Benamor Zerhouni, le jeudi 19 mars à Ghardaïa. L'envolée colérique à laquelle Bouteflika s'est inhabituellement laissé aller est terrifiante en ce qu'elle annonce une loi du Talion. La sortie présidentielle, au-delà du fait qu'elle soit inattendue et surprenante, trahirait un manque de sérénité chez le Président face à une conjoncture politique qui lui est assurément défavorable. Jamais, en effet, depuis sa première investiture il y a 16 ans, Bouteflika ne s'est rendu à des menaces aussi crues à l'endroit des deux segments critiques que sont les partis de l'opposition et la presse indépendante. Tentation bonapartiste ? L'en déduire ne serait pas exagérer le trait, loin s'en faut. "Etant un fils de ce peuple (algérien) et pour avoir consacré ma vie à son service et partagé ses joies et ses peines, je me dois, en vertu du poste où il m'a volontairement placé, de vous parler en toute franchise et combien je redoute la nocivité de ceux, d'entre nous, qui se sont laissés glisser sur la dangereuse pente de la politique de ‘la terre brûlée' dans le dessein d'arriver au pouvoir, même en mettant notre Etat en ruine et en marchant sur les cadavres des enfants de notre peuple", a affirmé Bouteflika dans son message, enchaînant sur une appréciation négative du travail de l'opposition et de la presse. "Je constate que de pseudo-hommes politiques, soutenus par une presse qui n'a aucun souci de son éthique professionnelle, s'évertuent, matin et soir, à effrayer et démoraliser ce peuple, à saper sa confiance dans le présent et l'avenir, ce peuple qui n'a pas accordé et n'accordera pas de crédit à leurs sornettes." Cette appréciation, dont le but évident est d'avilir l'opposition et les médias qui relient ses discours, aurait pu passer pour un coup de gueule — encore faut-il qu'il soit permis au chef d'Etat d'en avoir, surtout quand la circonstance exige de la solennité — si ce n'est la terrible sentence qui l'a accompagnée : "Cet état de fait nous met dans l'extrême obligation d'user d'un surcroît de fermeté et de rigueur pour défendre l'Etat. C'est un devoir constitutionnel, légal, légitime et moral qui ne peut souffrir ni report ni dérobade." S'il y a lieu de relever la confusion, assurément consciente, qui est faite entre le pouvoir et l'Etat, il serait encore plus pertinent de soulever la question du pourquoi de la sortie, tant dans son essence que dans sa projection. Mais aussi de s'interroger sur la nature de la réaction. La presse ciblée par inadvertance ? Eligible, jeudi, au billot, tout comme l'opposition politique, la presse s'est retrouvée le lendemain, pour une raison qu'il va falloir percer, soustraite à la menace. En effet, dans une version actualisée du laïus présidentiel, balancée vendredi via l'agence de presse officielle APS, le passage qui établit la jonction entre presse et opposition est évacué. Dans la nouvelle version on lit ceci : "Je constate que de pseudo-hommes politiques s'évertuent (...)", alors que dans le discours lu jeudi par Benamor Zerhouni et intégralement repris dans le JT de 20h, il est intercalé une phrase consacrée à la presse : "Je constate que de pseudo-hommes politiques, soutenus par une presse qui n'a aucun souci de son éthique professionnelle, s'évertuent (...)". La nuit a-t-elle porté conseil à Bouteflika et ses égéries qui auraient donc, en définitive, jugé peu porteur d'ouvrir en même temps un front contre l'opposition politique et contre la presse. Ils se seraient ravisés, car comprenant, après coup, que l'attaque jumelée renforcerait plutôt qu'elle n'aiderait à briser le lien entre l'opposition et la presse. Agacement à l'heure du bilan Il reste néanmoins que la menace à l'endroit donc de l'opposition est forcément à prendre en compte. Surtout qu'elle a tout l'air de traduire, comme d'aucuns parmi les leaders de partis politiques l'ont compris, un affolement chez le pouvoir acculé qu'il est par l'agglomération de l'opposition et gêné en même temps dans sa perspective de maintenir un niveau de rente en exploitant le gaz de schiste. L'offre du dialogue pour la constitution du fameux front de l'intérieur apparaît en flagrant déphasage avec la menace. Elle n'est surtout pas en adéquation avec la réalité, puisque même l'opposition sollicite une sortie de crise négociée avec le pouvoir. Mais c'est à croire que le regroupement de l'opposition qui a transcendé ses divergences et querelles pour exiger, de manière très réfléchie mais aussi solidaire, la transition démocratique, est indubitablement un motif d'agacement pour un pouvoir qui a dû, en sus, assister impuissant au rétrécissement du cercle de ses courtisans. Les assauts répétés de la secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, contre les membres du cercle proche du Président, en l'occurrence le secrétaire général du FLN, le président du FCE et le ministre de l'Industrie et des Mines, ne pouvaient que trahir un malaise au sommet de l'Etat. À plus forte raison quand Louisa Hanoune ose une interpellation publique du frère cadet du Président, lui conseillant d'agir pour éviter que la dérive politique et économique en cours ne soit fatale pour le pays. L'audace de la patronne du Parti des travailleurs, qui atteste, faut-il le dire, de l'influence de Saïd Bouteflika sur la fonction présidentielle, a très mal été appréciée en haut lieu. Preuve en est la virulente réplique de Bouchouareb. L'avertissement présidentiel à l'endroit de l'opposition intervient également à l'approche de la date anniversaire de la reconduction de Bouteflika pour un 4e mandat. Une élection que l'Union européenne n'a, cette fois-ci, pas certifiée conforme aux standards de la transparence et de la régularité. S. A. I.