On ne saura peut-être pas de sitôt de quoi il a retourné dans cette inédite trituration d'un message présidentiel, mais l'on peut d'ores et déjà conclure à un cafouillage sans précédent au niveau de la proximité immédiate du chef de l'Etat. Le message présidentiel, auquel Benamor Zerhouni, conseiller du président Bouteflika, a donné lecture jeudi à Ghardaïa, à l'occasion de la commémoration du 53e anniversaire de la signature des accords d'Evian et de la proclamation du cessez-le-feu, a déconcerté plus d'un par sa tonalité belliqueuse à telle enseigne que, d'ailleurs, les partis de l'opposition ont quasi unanimement douté de la véritable paternité du texte en question. Dans son commentaire au message présidentiel, le président du parti en voie de constitution Talaiou El-Houriet, l'ancien chef de gouvernement, Ali Benflis, consignait ceci : "On ne sait qui du titulaire nominal de la fonction présidentielle ou des cercles occultes qui se sont constitués à la faveur de la vacance du pouvoir est le véritable concepteur et l'instigateur réel de ces agressions politiques contre l'opposition nationale." Devant le conseil national de son parti, réuni vendredi, le président du RCD, Mohcine Belabbas, soulignait que "les propos contenus dans le dernier message attribué à l'indu locataire d'El-Mouradia sont indignes d'un chef d'Etat". Pour sa part, le président de Jil Jadid, Soufiane Djilali, relevait qu'"au-delà des mots qu'il vient d'avancer, je pense que c'est l'état d'esprit du Président, ou ceux qui ont rédigé pour lui ce message, qui est très inquiétant, lourd de menaces, et qui, en tout cas, exprime une forme de panique qui peut devenir dangereuse pour le pays". C'est la première fois, depuis l'avènement en 1999 de Bouteflika à la magistrature suprême, que le doute se trouve semé de manière aussi franche autour du laïus présidentiel. Jamais, en effet, même au plus fort des tensions entre le pouvoir et l'opposition politique, la lucidité du Président, à qui il était pourtant déjà arrivé de hausser le ton, n'a été mise en cause comme elle l'a été cette fois-ci. Si les leaders de l'opposition que le message a voulu avilir ont posé la question de qui est l'auteur véritable du message présidentiel, c'est que celui-ci a radicalement rompu avec le style généralement posé et le ton habituellement serein du discours présidentiel. "De pseudo-hommes politiques, soutenus par une presse, qui n'a aucun souci de son éthique professionnelle, s'évertuent, matin et soir, à effrayer et démoraliser ce peuple, à saper sa confiance dans le présent et l'avenir. Ce peuple qui n'a pas accordé et n'accordera pas de crédit à leurs sornettes", est-il écrit dans le message présidentiel. Des qualificatifs du genre "pseudo-hommes politiques" et des vocables tels que "sornettes" sont, pour le moins qu'on puisse soutenir, inappropriés dans un discours présidentiel qui devrait, en toutes circonstances, témoigner de la hauteur de vue et de la sérénité. Plus intrigant encore est ce bout de phrase relatif à la presse intercalé dans le paragraphe où le message présidentiel qualifiait les leaders de l'opposition de "pseudo-hommes politiques" pour, enfin, se retrouver élagué le lendemain dans la version revue et corrigée du texte. Cela relevé, il se pose alors la question de savoir qui s'est autorisé un tel intercalaire et qui, par ailleurs, après coup, s'est ravisé de le biffer. On ne saura peut-être pas de sitôt de quoi il a retourné dans cette inédite trituration d'un message présidentiel, mais l'on peut, d'ores et déjà, conclure à un cafouillage sans précédent au niveau de la proximité immédiate du chef de l'Etat. Un cafouillage auquel la convalescence prolongée du chef de l'Etat, victime d'un AVC au printemps 2013, ne serait pas étrangère. Les leaders de l'opposition n'hésitent pas à évoquer la vacance du pouvoir, convaincus, répètent-ils depuis près d'une année, de l'incapacité du chef de l'Etat à assumer pleinement ses charges présidentielles. Avec le message de jeudi dernier, c'est carrément sur la lucidité du Président que le soupçon pèse. Ali Benflis, pour ne citer que lui, soutient, sans détour aucun, que "le message n'est manifestement pas celui de Bouteflika". Il reste, cela dit, que l'alerte sur les interférences dans la fonction présidentielle a été donnée par Louisa Hanoune qui avait, publiquement, exhorté Saïd Bouteflika d'agir auprès de son frère, le Président, afin d'éviter au pays la dérive politique et économique. La secrétaire générale du PT reproche à son adversité d'agir au nom du Bouteflika, mais à l'insu de ce dernier, toutefois. S. A. I.