La "Cafétéria" qui devait être ce lieu muséal où s'affiche le legs d'images si saisissants du défunt Gillio Pontecorvo, cédera la place à l'insidieux négoce des froufrous du prêt-à-porter. C'est à coups de marteau, de truelle et de raclette que s'annonce la réouverture de la mythique "Cafétéria" d'Alger. Laquelle ? Il n'y a qu'une ! Celle où planent les ombres de la mère courage Mama Z'hor et sa fille Samia Lakhdari, la descendante de Sidi-Abderrahmane Lakhdari non loin de Sidi-Okba à Biskra. C'était en cette journée du 30 septembre 1956 à inscrire d'une pierre blanche dans l'almanach de la Bataille d'Alger, où il y eut l'impressionnante série d'attentats du Milk-Bar de la rue Larbi-Ben M'hidi (ex-Isly) et de la Cafétéria sise rue Didouche-Mourad (ex-Michelet). Pour l'histoire, Samia Lakhdari avait eu l'idée d'être accompagnée de sa maman dite Mama Z'hor, pour aller à la Cafétéria qui est située en face des facultés de la rue Michelet. Alors, et pour ne pas éveiller les soupçons de la police, la mère et sa fille ont échangé leurs haïks (voile) contre des tenues de "roumiyate" (françaises). Accoutrées ainsi, ces deux dames se sont accoudées au comptoir, où elles feignaient de déguster un soda entre femmes. De la sorte, le stratagème a permis à Samia Lakhdari d'ignorer les suppliques intempestives des dragueurs qui gravitaient tout autour de l'Otomatic, l'actuel cercle Taleb-Abderrahmane et de la Cafétéria, où les étudiants ultras (*), dansaient et riaient. Il était 18h25 lorsque Samia Lakhdari et sa maman quittèrent la Cafétéria en prenant soin de dissimuler le sac de plage sous le tabouret du bar. À 18h35, il y eut l'explosion simultanée du Milk Bar que l'on doit à Zohra Drif et de la Cafétéria. Désormais, il ne s'agissait plus de troubles à l'ordre public, mais d'un Alger à feu et à sang. C'était là, l'effet d'annonce du FLN d'alors de porter dorénavant la guerre au cœur même de la cité dite européenne. L'objectif était double ! Il s'agissait de bousculer la quiétude du spoliateur et par ricochet, de malmener également l'insouciance de la jeunesse dorée de l'occupant. Et depuis, la peur n'était plus l'apanage des "Ya Ouled" et de leurs parents, ces indigènes. Oui ! La peur avait changé de camp ! C'est ainsi que la guérilla urbaine s'était "exportée" avec le succès que l'on sait, au-delà des "z'niqat" (venelles) de La Casbah d'Alger. Alors, qu'importe la répression de Guy Mollet et de ses bras armés qu'était l'infâme duo des Massu et Bigeard, face à la volonté d'un peuple épris du désir de s'affranchir du long joug colonial. Au demeurant, la Cafétéria demeure ce lieu muséal où s'affiche le legs d'images si saisissants du défunt Gillio Pontecorvo, dès lors que l'on met le pied dans ce haut lieu de la résistance de la Bataille d'Alger. Qu'importe aussi la pénombre du lieu, lorsqu'on est éclairé de la lumière des cœurs et des esprits de nos aînées Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouazza, Djamila Bouhired, Zohra Drif, Boualem Oussedik, Yacef Saâdi, Ali-La-Pointe, P'tit Omar, Taleb Abderrahmane, Rachid Kouache et l'autre p'tit Mourad, originaire de Biskra qui avaient écrit l'une des pages glorieuses de l'historique Zone autonome d'Alger, la ZAA. Certes, l'ouverture de la Cafétéria est une bonne nouvelle en soi, pour peu qu'elle contribue à l'instruction de nos enfants sur un lieu au passé héroïque et qui se doit d'être buriné au fronton de notre histoire. Or, ce n'est pas le cas ! Puisqu'à l'heure qu'il est, on s'apprête à effacer l'illustre passé de la Cafétéria pour y laisser place à l'insidieux négoce des froufrous du prêt-à-porter, nous dit-on. Non qu'on soit contre lecommerce d'habillement ou de tout autre activité commerciale, mais convenez-en qu'il est difficile de se taire devant un tel sacrilège ! A priori, lorsqu'il s'agit d'un monument historique de la dimension de notre "Cafétéria" nationale. Et dire qu'il suffit de si peu pour aménager ce lieu en un café où on enseigne l'histoire à travers des après-midi littéraires et des cycles de conférences autour d'anciens récits. Pour cela, le département ministériel des Moudjahidine est interpellé à plus d'un titre. D'ailleurs, l'autorité tous secteurs confondus, doit y mettre du sien pour soustraire la Cafétéria des rets de l'argent à l'aide d'un acte administratif de classement qui préservera la "Cafétéria" en qualité de site et monument historique placé sous la protection de l'Etat. Pour s'en convaincre, le geste de Jack Lang, alors ministre de la Culture du gouvernement français est à méditer. Pour le devoir de mémoire, c'est ce commis de l'Etat qui sauva la salle de l'Olympia de Paris qui menaçait ruine en ce 7 janvier 1993, où ce music-hall avait été classé au patrimoine culturel de la France pour avoir accueilli toutes les étoiles de l'Hexagone. Donc, le mieux est d'espérer que le cas de l'Olympia de Paris fera l'effet boule de neige en Algérie, où il y a tant de Jacques Lang pour espérer le sauvetage de la "Cafétéria" qui doit demeurer la propriété de tous les Algériens. Le doute n'est plus permis, puisqu'il y a eu auparavant un geste salvateur pour le cas du Milk-bar d'Alger et tout récemment pour le Cercle Taleb-Abderrahmane. Alors sauvons "La Cafétéria" d'Alger en hommage à nos fidaïne et fidayate qui se sont sacrifiés pour que "vive Djazaïr, horra, démokratiya" (Algérie libre et démocratique). L. N. Source : Mémoire d'une combattante de l'ALN de Zohra Drif