Le ministère de la Communication et l'Arav ne s'indignent que quand on évoque le chef de l'Etat ou son entourage. Au-delà des professions de foi, le pouvoir ne veut pas une presse professionnelle, mais une presse aux ordres. Depuis sa désignation à la tête du département de la Communication, Hamid Grine se sert du principe du respect de l'éthique et de la déontologie comme d'un sacerdoce. Dans l'absolu, il a bien sûr raison d'insister sur l'exercice juste et correct du journalisme qui consiste à informer sans diffamer, sans insulter, sans chercher à induire l'opinion publique en erreur par de l'intox et de la propagande. Sauf que la profession de foi du ministre de tutelle perd de sa crédibilité dès lors qu'elle prend la forme d'un chantage par le truchement de la manne publicitaire. Les pressions sont évidemment exercées sur une partie des organes de la presse nationale sans toucher les médias connus pour leurs accointances avec les autorités du pays. Le deux poids deux mesures dérange, inévitablement, surtout s'il se profile dans une politique adoptée aussi bien par le gouvernement que par les organismes de l'Etat. Dans ce registre, l'Autorité de régulation de l'audiovisuel, présidée par l'ancien député RND, Miloud Chorfi, s'est parfaitement illustrée dernièrement. L'institution a averti verbalement "pour dérives répétitives" une émission hebdomadaire de la chaîne privée El-Djazaïria. Fait reproché à ce programme : reprises de passage du livre Alger-Paris, une histoire passionnelle, évoquant l'acquisition par de hauts responsables de l'Etat ou de leurs proches de biens immobiliers dans des quartiers chics de Paris. En conséquence de ce rappel à l'ordre, la direction de la chaîne arrête l'émission. C'est de la pure censure, commentent les observateurs. Evidemment, c'en est une. Le ministre de la Communication et le président de l'Arav trouveront mille et une excuses pour la justifier. Ils auront, toutefois, plus de mal à expliquer leur impassibilité devant des dérapages nettement plus graves commis par d'autres chaînes privées. Sur les plateaux de l'une d'elles, Madani Mezrag a reconnu avoir assassiné des militaires et n'a exprimé aucun regret, poussant l'outrecuidance jusqu'à dire qu'il tuerait encore si ses revendications n'étaient pas satisfaites. Aucune réaction du côté officiel. Sur une autre chaîne, un imam a émis une fetwa condamnant l'écrivain journaliste Kamel Daoud à mort. Il n'est pas inquiété non plus. Ni le média qui lui a donné la parole. Ennahar TV a embrasé toute une région en transmettant en live une blague du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, insultante contre les Chaouis. La même chaîne, investie profondément dans le soutien au quatrième mandat, a stigmatisé de la pire manière les animateurs du mouvement Barakat, les jetant carrément à la vindicte populaire. Elle a récidivé, quelques mois plus tard, lors de la marche des policiers, en les mettant sous l'influence du lobby juif. Ennahar TV, Hoggar... et pour d'autres motivations El-Magharibia versent quotidiennement dans l'invective, l'intox, l'endoctrinement... et continuent à émettre sans craindre la sanction. Beaucoup de médias exploitent des histoires personnelles ou des fléaux sociaux pour faire exploser l'audimat ou augmenter le tirage sans se soucier aussi des contrecoups de leurs programmes sur la vie des gens qu'ils mettent sous les feux des projecteurs. Le reportage d'Ennahar sur les cités universitaires, suggérant la prostitution des étudiantes, a incité de très nombreuses familles à retirer leurs filles de l'université afin qu'elles ne soient pas éclaboussées par l'opprobre. Des titres de la presse écrite se rendent régulièrement coupables de manquement au sens de l'éthique. On citera le cas flagrant de ce quotidien qui, pour rendre compte de la polémique entre le patron du DRS et le SG du FLN, a titré à la une : "Un homme contre un homo". Bien entendu, les exemples de non-professionnalisme des médias nationaux sont trop nombreux pour les citer tous. Nul ne peut en disconvenir, ce sont ceux proches du pouvoir qui commettent les plus grosses entorses aux règles déontologiques et éthiques. Pourtant, ils ne manquent pas de publicité et ne souffrent pas de censure. Il est clair que les pouvoirs publics ne veulent pas avoir une presse professionnelle, mais une presse aux ordres. Là est la distorsion entre le discours, les intentions et l'acte. S. H.