Une radio multiculturelle, un office pour l'immigration, un département du Sénat pour l'intégration et une maison des cultures pour boucler la boucle sans compter les lois antidiscrimination, l'Allemagne veut régler la question des immigrés, anciens et nouveaux, par une politique plus sociale et plus ouverte sur le monde extérieur pour éviter les tensions à l'avenir. Y arrivera-t-elle ? “Weltmusik à la carte”, c'est le programme que présente quotidiennement Nouri Ben Redjeb, un Tunisien d'origine installé à Berlin depuis plus de quinze ans, à la radio multiculturelle allemande. Samedi 11 décembre, 13 heures tapantes, l'animateur donne le coup d'envoi de l'émission qui devra durer deux heures. Dans le studio World Wide Music, installé dans le bâtiment de la RBB, sis dans la périphérie de la capitale, l'ambiance est bon enfant. Une réalisatrice, une standardiste et une technicienne du mixage assurent le bon fonctionnement des programmes. Un message de bienvenue aux journalistes algériens invités par le Goethe Institut pour une mission d'information en Allemagne est diffusé en direct sur les ondes de la chaîne Radio Multikulti rbb. C'est l'Egyptien Amr Diab qui est à l'honneur aujourd'hui avec sa célèbre chanson Habibi ya nour el aïn suivi par l'Algérien Cheb Fodil avec Je veux vivre réclamés par des auditrices berlinoises. “Nous avons tous les tubes anciens et nouveaux de tous les pays, c'est notre boulot de ne pas décevoir un quelconque auditeur de quelque origine il est.” Pour cet animateur, qui supervise aussi le département arts et musique au sein de la Maison des cultures du monde de Berlin, la Radio assure des programmes dans pas moins de 17 langues. La réalisatrice nous explique, pour sa part, que la radio diffuse ses émissions sur tout le territoire allemand de 22h à 6h du matin, mais ce n'est pas tous les jours. L'intégration, c'est aussi faire sentir aux étrangers se trouvant en terre allemande qu'ils sont chez eux. Plus de quinze ans après la chute du mur, l'Allemagne se tourne vers ses immigrés anciens et nouveaux. Cet intérêt est dicté par la situation sociale et plus précisément démographique, et la crise économique qu'elle vit ces dernières années. Dans son dernier livre intitulé Allemagne, chronique d'une mort annoncée, Yves-Marie Laulan écrit qu'à l'horizon 2050 en l'absence d'immigration et si l'indice de fécondité reste ce qu'il est, c'est-à-dire 1,3 enfant par femme, le pays aura 50,7 millions d'habitants dont le tiers sera âgé de plus de 60 ans. Et pour que la population allemande se stabilise à son niveau actuel (80 millions d'habitants), il faudrait un solde migratoire de 300 000 personnes par an. Ce qui serait difficilement réalisable pour plusieurs raisons liées notamment à la sélection sévère prévue dans la loi sur l'immigration qui entrera en vigueur dès janvier prochain. Berlin ouvre ses bras En attendant, les efforts engagés en matière d'intégration ne se limitent pas seulement à la radio multiculturelle. Il y a la Maison des cultures du monde, l'organisme des affaires multiculturelles basé dans l'ensemble des gouvernorats (landers), et le département du Sénat chargé de l'immigration et de l'intégration. Berlin, qui ambitionne de canaliser toutes les énergies, a décidé de coordonner son action en direction des immigrés avec l'ensemble des organismes chargés du dossier. Selon Markus Wiegner, responsable du département des relations publiques à l'organisme des affaires multiculturelles de Frankfurt, le travail qui incombe à son équipe de 90 employés ne touche pas uniquement la question de la langue que les immigrés sont aujourd'hui obligés d'apprendre pour pouvoir vivre en communauté en Allemagne, mais concerne aussi et surtout l'éducation et la religion. “Notre action d'orientation va jusqu'au travail de médiation pour le règlement des problèmes qui surgissent dans les quartiers”, déclare Wiegner, qui souligne cependant la nécessité pour les étrangers de s'intégrer dans la vie sociale allemande. Si l'on prend l'exemple de Frankfurt, il faut savoir que sur 650 000 habitants, il y a 170 000 étrangers, dont seulement 2 000 Algériens. Ce qui représente une moyenne de 27%. Cependant, précise Wiegner, avoir le passeport et la nationalité ne signifient pas qu'on est allemand. Et d'ajouter que les Turcs, qui sont venus en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, ont vécu pour la plupart d'entre eux en dehors de la société. “Nous devons aujourd'hui améliorer le niveau scolaire de leurs enfants et même de leurs parents quand bien même le processus peut paraître difficile.” Pour certains résidents, le débat sur l'intégration est venu en retard en Allemagne. Si cette opération peut facilement se réaliser auprès des jeunes et encore il faudrait avoir beaucoup de tact pour approcher les plus démunis d'entre eux ; elle est d'autant plus complexe pour ne pas dire impossible concernant les parents. Ils mettent en garde aussi contre une mauvaise interprétation de l'intégration qui, disent-ils, ne doit pas être confondue avec assimilation. D'autant plus que des voix de la droite s'élèvent pour remettre en cause non seulement la nouvelle politique d'immigration engagée par le gouvernement, mais aussi le fait que l'Allemagne ait accepté dans les années 1940 le flux migratoire turc. Mais les autorités ont pris leurs devants et le Parlement a déjà adopté, en 2003, une loi antidiscrimination stipulant que la personne qui se sentirait lésée pourrait saisir la justice. Aujourd'hui, l'organisme multiculturel de Frankfurt tente de briser toutes les barrières et c'est dans ce sens d'ailleurs que des Turcs résidents à Frankfurt sont autorisés à participer au Parlement communautaire de la ville qui, soit dit en passant, n'est pas habilité à prendre des décisions. NI PRIVATION NI EXCLUSION “C'est une étape vers la participation active dans le vote communal dans quelques années”, souhaite Wiegner pour qui il est primordial de laisser les gens évoluer et prendre part à la gestion des affaires de la cité pour éviter des conflits à l'avenir, car toute privation et exclusion créent la confrontation. Le même avis est partagé par Elke Pohl, délégué du Sénat chargée de l'immigration et de l'intégration, qui veut positiver les choses pour pouvoir influer sur le Parlement. Evoquant le cas de Berlin où cohabitent plus de 180 nationalités, Mme Pohl précise que pour cette ville de 3,5 millions d'habitants, plus de 500 000 d'entre eux sont des étrangers dont seulement 894 algériens. Parler allemand et avoir un niveau scolaire permettent d'intégrer la société et dans ce cas de figure la religion ne joue pas un rôle négatif dans cette opération mais si les gens refusent par exemple d'envoyer leurs filles pour des cours de sport ou étudier la biologie à l'école sous des prétextes religieux, cela devient alors un problème, souligne la représentante du Sénat. Le département qu'elle a la lourde charge de gérer vient de confectionner un calendrier multi-religions pour 2005 et dans lequel musulmans, chrétiens, juifs, bouddhistes et hindouistes retrouveront les dates de leurs fêtes religieuses. Quant à la Maison des cultures du monde, lieu d'épanouissement de toutes les cultures et civilisations, le débat sur l'intégration ne date pas d'aujourd'hui car sur le plan culturel tous ceux qui viennent pour présenter un produit ont droit au même accueil. Célébrité ou inconnu bénéficient de la même considération, à savoir hôtel de luxe et prise en charge. Le défunt Tahar Djaout, assassiné par les islamistes en 1993, y venait souvent. Rachid Mimouni aussi avant son décès. D'autres viennent jusqu'à présent, à l'exemple de Assia Djebbar et Rachid Boudjedra, et Khalida Toumi a cessé de venir après qu'elle ait été nommée ministre. Nouri Ben Radjeb, responsable des arts et médias, retrace le rôle de l'établissement qui existe depuis 1988 et dont l'objectif est d'encourager toute initiative culturelle d'où quelle vienne, excepté bien entendu celle qui attise les haines raciales et incite à la violence. Ici, la culture des ambassades a peu de chances de percer, car nous savons que dans les pays en voie de développement où la démocratie n'est pas encore ancrée, les régimes répriment à la source toute forme de culture qui ne l'encense pas, et c'est pour cette raison que l'établissement étend ses activités aux artistes qui ne sont pas diffusés dans leurs pays. Il avoue, cependant, que dans le cadre des intérêts économiques du gouvernement avec les pays asiatiques, la maison a privilégié la culture de cette région tout en gardant la crédibilité de la structure. Et l'intégration ne peut se réaliser que si la culture dépasse les systèmes politiques en place. C'est en tout cas le souhait de Nouri. S. T.