Depuis les drames tragiques de Toulouse et Montauban qui ont frappé des familles juives, chrétiennes et musulmanes, les actes terroristes contre le journal satirique Charlie Hebdo et l'attaque barbare perpétrée en plein mois de Ramadan dans la région lyonnaise, les simplifications, les manipulations et les raccourcis intellectuels et médiatiques sur l'islam se sont généralisés. On a tendance à faire porter la responsabilité de ces attentats odieux à l'ensemble des musulmans. Aujourd'hui, il n'y a pas une musulmane ni un musulman en France qui ne soit régulièrement interpellé sur les questions de la violence. Certains chercheraient même à établir un lien qui s'apparenterait implicitement à une règle selon laquelle la violence serait une donnée intrinsèque à l'islam. D'autres voient derrière chaque musulman un futur Mohamed Merah, Chérif Kouachi, Saïd Kouachi ou Yassin Salhi. Cette campagne de diabolisation et de diffamation sans précédent des musulmans dans l'histoire de la France de l'après-guerre explique les résultats des sondages publiés dans Le Monde et dans lesquels 74% des personnes estiment que l'islam est une religion "intolérante" et qu'il n'est pas compatible avec les valeurs de la société française. Au lieu de faire œuvre de pédagogie en refusant les amalgames, beaucoup d'hommes politiques les alimentent, se contentant de lire des notes administratives. Enfermés dans leurs bulles, n'ayant plus de vision et en panne d'idées novatrices, ils jouent dangereusement la carte de la peur en entretenant les confusions. La peur s'est installée en France. De nombreux Français, pas forcement racistes ou populistes, s'inquiètent de l'influence et de "l'excès de visibilité" de l'islam et des musulmans en France. Si ces angoisses sont en partie le fruit du travail de sape intello-politico-médiatique, il y a des questions légitimes que se posent certains Français non musulmans. - Que disent les textes fondateurs de l'islam sur la guerre, la violence et le respect de l'autre ? - Quels sont les facteurs qui poussent certains jeunes à adopter les lectures littéralistes les plus fermées ? - Sur un plan purement politique, comment expliquer les processus qui attitrent les jeunes vers la radicalisation ? - Dans des cas qui restent rares, comment expliquer le basculement et l'engagement de certains jeunes dans des actes de violence, voire de terrorisme ? - La présence coercitive de l'Etat dans certains quartiers, les discriminations raciale et ethnique, la paupérisation et toutes les formes d'injustice expliquent-elles et alimentent-elles les tentations extrêmes ? - L'institutionnalisation du culte musulman peut-elle faire barrage à ces tentations extrêmes ? Et quoi qu'il en soit, les musulmans de France doivent faire face à ces peurs de façon digne et répondre à ces questions de façon responsable. Tout en résistant aux amalgames, les musulmans doivent répondre aux inquiétudes des Français de façon digne et claire, en se gardant de cautionner les discours politiques qui jouent de leurs peurs. Ils doivent défendre la dignité humaine, combattre toutes les formes de racisme, respecter la diversité religieuse et agir pour que l'égalité entre les individus soit réelle. Aux côtés des autres religions, ils doivent promouvoir la culture de la paix et du vivre ensemble, favoriser le dialogue entre les cultures et les croyances sans craindre le relativisme. Ils doivent enfin construire un discours responsable, clair, audible et pacifiant. Un discours qui permettra à l'islam d'être ce qu'il a toujours été, c'est-à-dire une religion de tolérance et d'ouverture et un chemin vers la paix (à suivre). A. G. (*) Recteur de la mosquée de Villeurbanne et universitaire