Inquiété par l'éventuelle création d'un Etat kurde dans le nord de la Syrie, frontalier avec la Turquie, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait envisagé une intervention militaire en territoire syrien. Un attentat-suicide, attribué à l'Etat islamique (EI/Daech), a fait hier une trentaine de morts et plus d'une centaine de blessés à Suruç, une ville turque frontalière avec la Syrie. L'attaque a visé un rassemblement de 300 jeunes militants de gauche pro-Kurdes, en majorité des étudiants, dans le jardin d'un centre culturel de Suruç, en soutien à un projet de reconstruction de Kobané, la ville syrienne à dominante kurde. Kobané avait été quasiment détruite par les affrontements meurtriers entre les milices kurdes et les terroristes de Daech de septembre à janviers derniers. "Les premiers éléments montrent que l'explosion est un attentat-suicide et qu'il a été perpétré par Daech (l'acronyme arabe du groupe EI)", a déclaré le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, lors d'une conférence de presse à Ankara. Alors qu'aucune revendication n'a été émise en fin de journée d'hier, les autorités turques continuaient à afficher leur certitude quant à la responsabilité de l'EI dans cette attaque, la première en Turquie, si Daech venait à la revendiquer. Ainsi, le président turc Recep Tayyip Erdogan aura toute la latitude et l'appui nécessaire de son peuple pour se lancer dans la guerre en territoire syrien, comme il l'avait envisagé, il y a quelques jours. Cette intervention devait se limiter à une incursion armée dans le nord de la Syrie où habite la population kurde, selon la presse turque, à l'issue d'une réunion du Conseil national de sécurité (MKG), présidé par Erdogan fin juin dernier. Dans son communiqué, le MKG avait affirmé avoir "évalué en profondeur les récents événements survenus en Syrie, discuté des menaces potentielles et des mesures de sécurité supplémentaires prises le long de la frontière", dont une possible intervention militaire sur le sol syrien. Le chef de l'Etat avait menacé implicitement deux jours auparavant d'agir contre toute la création d'un Etat kurde à sa frontière. "J'en appelle à la communauté internationale. Quel que soit le prix à payer, nous ne permettrons jamais l'établissement d'un nouvel Etat à notre frontière sud, dans le nord de la Syrie", avait-il déclaré, lors d'un dîner de rupture du jeûne de Ramadhan, le 26 juin. Alors que le régime du président syrien Bachar al-Assad risque de s'effondrer, à n'importe quel moment, Ankara cherche donc à parer contre toute création d'un Etat kurde. Ce qui explique, en partie, le refus inavoué d'Erdogan de soutenir dans sa guerre contre la tentative d'implantation de l'Etat islamique en septembre. Les autorités d'Ankara ont même empêché, durant des jours, les jeunes kurdes turcs de se rendre à Kobané pour empêcher que l'Ei de commettre un génocide dans cette province frontalière avec la Turquie. Aujourd'hui, sous prétexte de venger ses morts, la Turquie dispose d'un mobile solide pour organiser l'enterrement de toute possibilité d'existence d'un Etat regroupant sa minorité kurde, les Kurdes syriens et irakiens qui rêvent depuis des lustres d'un grand Kurdistan au Proche-Orient. L.M.