Auteur de plusieurs publications dont la dernière en date Elections et Elites en Algérie, professeur et chercheur à l'Institut des études politiques d'Alger, le Dr Rachid Tlemçani, qui a été également chercheur dans plusieurs centres de recherche et universités, notamment en Florence, Georgetown University (Washington DC) et Harvard University (Boston), restitue dans cet entretien les enjeux inhérents à la crise qui secoue la classe politique. LIBERTE : Comment expliquez-vous, M. Tlemçani, la crise qui secoue aujourd'hui la classe politique algérienne ? Rachid Tlemçani : La crise qui secoue la classe politique est très profonde et complexe en même temps. Pour en sortir, cela nécessite beaucoup d'intelligence et de perspicacité de la part de tous les acteurs visibles et invisibles. L'Algérie est à la croisée des chemins. Les grands enjeux que connaît le pays doivent être discutés dans un débat contradictoire et démocratique. L'Algérie a besoin de tous ses enfants, y compris ceux qui n'ont pas eu un grand score et même ceux qui n'ont jamais participé à des scrutins truqués d'avance. Quelle est, à votre avis, la part du pouvoir dans ces crises puisque de nombreuses formations politiques accusent souvent des cercles occultes au sein de certaines sphères du même pouvoir ? Je pense qu'il est opportun de tenter de définir le concept de “pouvoir”, concept qui a été galvaudé par tout le monde. Quelqu'un qui a occupé, à un moment donné, de hautes fonctions au sein de l'Etat, de la diplomatie, de l'administration ou de l'armée, fait partie du pouvoir, et qu'il a exercé pleinement ou non ses prérogatives, cela est une autre affaire. Toujours est-il qu'il a une part de responsabilité d'une certaine manière dans la crise actuelle puisque tout le monde s'accorde à dire que la crise ne date pas d'aujourd'hui. Il est malhonnête de prétendre qu'on n'est pas responsable quand on a occupé de hautes responsabilités pendant de longues années au cours desquelles on s'était occupé beaucoup plus à gérer ses affaires et celles de ses proches au détriment de la chose publique. Les partis sont-ils autonomes ? De quelle autonomie s'agit-il ? Est-il question d'une autonomie par rapport au pouvoir, au centre de décision des affaires, des canaux de distribution des prébendes ? Il y a évidemment des partis qui sont plus autonomes que d'autres. Il faudrait examiner scrupuleusement la relation qui existe entre le leadership des partis et les cercles des affaires. En outre, pour bien cerner cette épineuse question, il faut encore préciser la conjoncture politique à laquelle on fait référence. Par exemple, la marge de manœuvre de l'ex-FIS a été limitée au début de son officialisation. Mais cette marge a rapidement augmenté à la faveur de la manipulation politicienne conjuguée au faible ancrage social des partis de la mouvance démocratique. D'ailleurs, une particularité importante de l'analyse du système politique algérien est associée à la gestion des crises dans laquelle la manipulation des événements joue un rôle considérable. La main invisible parvient souvent à manipuler de nombreux événements, mais rapidement la dynamique des conflits échappe à sa direction et à son contrôle. Au regard de l'expérience du multipartisme en Algérie, une nouvelle restructuration du champ politique s'impose-t-elle ? Il semble que l'expérience démocratique soit un échec et, par conséquent, le champ politique doit être restructuré et remodelé. La question qui nous interpelle est quel est l'acteur qui est appelé à le restructurer ? Deux grandes thèses s'affrontent sur cette importante question de la transition démocratique. La première est soutenue par les tenants de la voie sécuritaire. Paradoxalement, et là c'est une spécificité algérienne, une grande partie de la mouvance démocratique partage, d'une certaine manière, cette approche. Selon eux, le multipartisme a engendré la déliquescence de l'Etat, un élément pivotal de la crise actuelle. Comme solution magique à un phénomène très complexe, ils prêchent une reprise en main de l'Etat. Le renforcement de l'Etat sécuritaire au détriment de la promotion de la société civile s'impose à cette logique de type institutionnaliste. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, cette approche a trouvé un grand écho au sein des grandes puissances et des milieux financiers. Désormais, ces forces soutiennent ouvertement cette approche dont le relent de racisme n'est plus à démontrer. La deuxième thèse a tendance à soutenir la promotion de la “société civile” au détriment de la “société politique”. Pour les tenants de cette approche, le multipartisme en Algérie et ailleurs a été biaisé dès le départ et, par conséquent, son échec a été programmé d'une certaine manière. Comme solution, ils soutiennent l'ouverture du système politique à tous les niveaux, économique, politique, culturel, syndical et audiovisuel. Les garde-fous ne sont pas nécessaires. La décantation se fera par elle-même et avec le temps. La lutte doit être ouverte à tous les acteurs et l'Etat, en tant qu'arbitre, doit être au-dessus de la mêlée, comme dirait Hegel. La main invisible ne doit plus intervenir pour établir “un certain équilibre”, qui s'est avéré être déstabilisateur pour l'Etat et ses institutions et dévastateur pour l'intérêt national. La maturité du peuple algérien n'est plus aujourd'hui à démontrer. Il n'a pas besoin de tuteur. La gestion des crises ne se fait pas par un Etat sécuritaire, mais par un Etat hégémonique. K. K.