Selon elle, le problème n'est pas dans la langue, mais dans le projet culturel que l'école doit véhiculer. Elle fut parmi les figures qui avaient lancé le débat sur la nécessité de la réforme de l'école algérienne au lendemain de l'ouverture démocratique de la fin des années 1980. Après une éclipse de plusieurs années, voilà qu'elle revient pour mettre, encore une fois, son grain de sel dans la polémique qui secoue depuis quelques semaines le secteur de l'éducation, une polémique nourrie et entretenue sciemment par certains cercles, relayés par certains médias, à la faveur da la proposition de la ministre de l'Education nationale, Mme Benghebrit, d'introduire les langues maternelles dans les classes préparatoires. Mme Malika Greffou, auteur du fameux livre L'Ecole algérienne d'Ibn Badis à Pavlov, qui avait défrayé la chronique au début des années 1990, estime que le débat actuel autour de la nécessité ou non de l'enseignement de langue maternelle est "un non-sens". Le problème, à ses yeux, n'est pas tant dans la langue, ni dans l'idéologie autant qu'il est dans le projet qu'on veut conférer à l'école. "Le débat sur l'arabe populaire est une diversion pour ne pas voir le vrai problème qui est le projet", soutient Mme Greffou, invitée hier du forum du journal arabophone, Al-Hiwar. "Le rôle de l'école est de transmettre une culture, ce n'est pas un problème de langue", dit-elle, avant d'ajouter : "Le problème n'est même pas idéologique, il est économique. Nous ne sommes pas prisonniers de l'idéologie. C'est un problème des tenants du système qui détiennent les marchés." Selon Mme Greffou, le problème de l'école algérienne remonte au lendemain de l'Indépendance lorsque certains esprits, malintentionnés sans doute, ont décidé de "toucher à l'accumulation du capital culturel", vieux de 1 300 ans. "La révision de l'héritage civilisationnel s'est posé seulement en Algérie", regrette-t-elle. "L'école du XXIe siècle, c'est un pôle de transmission culturel. Mais tout ce qu'on a fait depuis les années 1970, c'est la destruction du pôle de transmission culturel. On l'a transformé en centre d'inculcation." Dans ce contexte, elle pointe du doigt les inspecteurs qui élaborent les livres et les instituts de formation, devenus souvent des espaces où atterrissent les mourchidate. À titre comparatif, elle rappelle qu'à son époque le problème de la langue ne se posait pas et les enseignants accueillaient les élèves avec de la poésie. "Aujourd'hui, les enfants se heurtent à la langue." "Quand on accepte des livres faits par des inspecteurs, on est contre les élèves. À nous d'introduire la tradition orale avec des artistes, pas avec des commerçants", soutient-elle, en exhibant des exemplaires de livres finlandais, l'une des écoles les plus performantes au monde. Selon elle, "l'Algérie a enseigné la langue de laboratoire". À ceux qui préconisent l'enseignement de la langue anglaise au détriment de la langue française, un choix défendu notamment par les islamistes, Mme Greffou évoque le cas de l'école allemande où d'abord on s'emploie à susciter "la curiosité et l'esprit d'initiative" chez l'enfant. Mme Greffou est aussi hostile au préparatoire et à l'usage du vocable "école coranique". "L'enfant peut se développer jusqu'à sept, huit ans sans l'école." "Qu'on éloigne la mosquée de l'école, la catastrophe qu'on a connue est venue de l'école", soutient-elle, par ailleurs. Mais à l'inverse de certaines voix, Mme Greffou refuse de charger la ministre dont le mérite probablement est de tenter de secouer le cocotier. Elle réclame l'application de la loi sur l'orientation de l'éducation de 2008. "C'est le secteur de l'éducation qui est en dehors de la loi, pas la ministre", dit-elle. "Pourquoi ignorer la loi de 2008 ?", s'interroge-t-elle encore. Même si elle ne désigne pas nommément les centres qui refusent l'application de cette loi, laquelle comporte des critères et des orientations à même de conférer à l'école un rôle de transmission civilisationnelle, Mme Greffou accuse "le pouvoir politique qui a monopolisé le secteur depuis 45 ans". "Ce sont des centres d'intérêt, qui ont des marchés. On ne veut pas de culture pour l'enfant, pour l'exclure de la mondialisation. Appliquer la loi de 2008, c'est éloigner le noyau de ce système", estime-t-elle. "Et on voit leur silence, ce sont eux qui ont suscité cette polémique, pas Benghebrit", ajoute-t-elle. En guise de conclusion, Mme Greffou soutient que la solution est dans "un projet culturel pour l'école". "Même l'enseignement de tamazight dans 20 wilayas relève de la démagogie." K.K.