Qu'est-ce qui peut bien justifier cette sortie, pour le moins menaçante, d'Ahmed Ouyahia ? Deux jours seulement après la déclaration de la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, accusant les tenants du régime de "tentations totalitaristes" et de "militarisation de la vie politique", le chef de cabinet de la présidence de la République et néanmoins secrétaire général par intérim du RND a enfilé les habits du "père fouettard" et sorti la grosse artillerie à l'encontre de toutes les voix qui ne s'inscrivent pas dans la "feuille de route" et le "moule" du régime. L'opposition, la presse, les partisans de la transition et le célèbre chanteur, Ferhat Mehenni, à la tête d'un mouvement qui réclame depuis quelques années l'indépendance de la Kabylie, tous ont eu pour leur grade. "En tant que citoyen et chef de parti politique, j'appelle tout le monde à maîtriser sa langue. L'Etat ne peut plus rester spectateur. Les polémiques n'arrangent pas le pays. (...) Il y a des limites qui sont infranchissables, sous aucun prétexte. Que chacun reste à sa place." "Nous soutenons et respectons la liberté de la presse, mais cela ne doit pas se faire au détriment de l'Algérie". "Nous disons à ces gens-là que la démocratie des périodes de transition, nous n'en voulons plus ! De la démocratie de l'anarchie non plus, d'ailleurs." "99% des Algériens sont fidèles au message du 1er Novembre à l'exception d'une minorité. C'est le cas, malheureusement, de ce fils de chahid qui va chez les juifs pour vendre le pays. L'objectif dépasse l'autonomie de la Kabylie, mais s'inscrit dans le cadre d'un projet visant la destruction de l'Algérie". Ce sont autant de formules employées par Ouyahia dont on devine qu'elles expriment une orientation stratégique du régime. Celle qui consiste à jouer sur le registre de la peur et crier au loup, maintenant que les recettes qui s'appuyaient sur la légitimité historique et la distribution de la rente sont inopérantes. En forçant le trait sur les menaces intérieures et extérieures, le pouvoir, pris à la gorge par l'amenuisement de la rente avec laquelle il entretenait la clientèle et achetait la paix sociale, cherche visiblement à anesthésier une société déjà éprouvée par une décennie de terreur, accablée par un quotidien difficile, mais surtout étouffer dans l'œuf toute velléité de contestation ou de fronde sociale. Les craintes du régime sont d'autant justifiées que les clignotants sont au rouge sur le triple plan politique, économique et social. D'ailleurs, il y a comme une espèce de partage des rôles puisque avant Ouyahia, il y a Abdelmalek Sellal et Ahmed Gaïd Salah qui, eux aussi, n'ont pas manqué de mettre en garde contre les menaces et les ennemis "intérieurs et extérieurs". Mais cette recette de la "terreur" est-elle efficace pour un régime frappé d'illégitimité et qui a perdu le sens de la mesure ? "Les deux ressources fondant la légitimité du système politique algérien sont la sécurité et la distribution de la rente. En théorie, si ces deux ressources venaient à s'amenuiser, le système se retrouvera dans l'obligation d'évoluer en s'appuyant sur d'autres sources de légitimation. Ce n'est pas impossible, l'Indonésie a réussi ce pari. En revanche, l'autre scénario est que le système consolide l'une de ses deux ressources pour compenser l'autre. En l'occurrence, il s'agirait de s'appuyer sur la légitimité sécuritaire pour compenser l'amenuisement des ressources financières. Cette possibilité est de nature à maintenir la logique collégiale du système. C'est un scénario que l'Algérie a vécu et qui se passe de commentaires", analysait récemment Louisa Aït Hamadouche. Visiblement, on est dans le deuxième cas de figure. Et les résultats risquent de s'avérer encore plus désastreux pour le pays. K. K.