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"Vers la mise à mort programmée de l'industrie du médicament"
Abdelouahed Kerrar, président de l'UNOP, à propos des effets du gel des prix
Publié dans Liberté le 18 - 11 - 2015

Dans cet entretien, le premier responsable de l'Union des opérateurs du secteur pharmaceutique souligne que les principales contraintes à la production de médicaments persistent.
Comment analysez-vous le marché du médicament en Algérie?
Le marché algérien a connu une dynamique tout à fait remarquable au cours des dernières années, depuis 2010 notamment, avec des taux de croissance moyens annuels de l'ordre de 12%. Il est évalué pour 2014 à quelque 4Mds de dollars.
Cette situation est liée jusqu'ici au dynamisme global qu'a connu l'économie algérienne, avec une croissance significative du PIB hors hydrocarbures, des augmentations de salaires qui ont touché de larges couches de la population, une demande vigoureuse en produits de santé, des budgets en forte hausse au niveau des structures publiques de santé et un système de remboursement efficace par les caisses de sécurité sociale.
À cela, il faut ajouter les progrès immenses qui ont été accomplis par la production nationale qui connaît des taux de croissance annuels
supérieurs à 17% depuis 2008, suivant les chiffres disponibles au ministère de l'Industrie. La couverture des besoins du marché par la production nationale est ainsi passée de 12% en 2004 à 43% en 2014. L'évolution est donc tout à fait satisfaisante, la filière pharmaceutique a été une des très rares à avoir pu renforcer ses parts de marché, l'importation ayant, comme chacun sait, submergé quasiment tous les secteurs de l'industrie algérienne. Ces progrès de l'industrie nationale sont dus à la forte implication des investisseurs privés dans cette filière stratégique et surtout, il faut le souligner, aux mesures efficaces prises en 2008 pour protéger le marché national, en interdisant l'importation de tout produit fabriqué localement. Apparemment, cela a inspiré favorablement la politique publique, puisque le gouvernement compte instaurer bientôt un système de licences pour les autres secteurs, à l'image de celui qui est pratiqué dans celui de la santé.
Dans un tel contexte, la grande question qui se pose aujourd'hui est de savoir si ces progrès remarquables vont se poursuivre avec cette crise économique sévère qui frappe notre pays et avec les conséquences inquiétantes que la baisse brutale des cours pétroliers fait peser sur les ressources du budget de l'Etat, sur la croissance économique globale et sur les revenus de la population. À l'Unop (Union nationale des opérateurs de la pharmacie), nous estimons que la responsabilité majeure de l'ensemble des acteurs, qu'ils soient économiques ou institutionnels, est de veiller à ne pas casser la dynamique vertueuse que nous avons connue jusque-là. Et, à cet égard, il y a trois phénomènes qui nous inquiètent particulièrement :
- le premier a trait aux réactions négatives du comité des prix à nos demandes de révision des prix du médicament fabriqué localement qui sont figés administrativement pour une période de cinq années. Avec l'inflation qui a touché les coûts salariaux et les coûts des intrants, et avec les retombées négatives des fluctuations du taux de change du dinar, ce gel de nos prix équivaut à une mise à mort programmée de la production nationale ;
- le second phénomène concerne le devenir des immenses investissements qui sont actuellement en phase de réalisation. Il faut savoir que ce sont 151 usines qui sont actuellement en phase de construction et qui devraient entrer en production au cours des toutes prochaines années. Manifestement, le marché national sera trop étroit pour cette offre en devenir, ce qui suppose dès à présent une stratégie nationale concertée en termes d'ouverture de marchés à l'extérieur de nos frontières. En l'absence d'une vision beaucoup plus affûtée du développement à long terme de notre filière, une grande part de ces investissements sera vouée à la casse ;
- le troisième aspect a trait à ce débat récurrent et maladroit sur la diminution de la facture des importations de médicaments, comme si celles-ci étaient moins légitimes que celles des tabacs, des véhicules ou d'un tas d'autres produits polluants et nocifs pour la santé publique. Ce que l'on ne dit pas suffisamment, c'est que l'augmentation des importations, au cours des dernières années, était justifiée par l'accès à des thérapies nouvelles faisant appel à des produits innovants non disponibles dans notre pays, en même temps qu'à un effort sans précédent des pouvoirs publics pour répondre à la demande de soins de nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle nous insistons, à l'Unop, sur la nécessité, non pas de limiter ces importations vitales pour la santé publique nationale, mais de focaliser plutôt sur le soutien au développement de la fabrication locale de spécialités aujourd'hui importées. C'est là tout l'enjeu du développement d'une industrie pharmaceutique nationale puissante, dont notre pays a réellement besoin.
Quelles seront les implications de la nouvelle loi sanitaire sur la distribution du médicament en Algérie ?
Pour l'heure, cette nouvelle loi est encore au stade de projet. Attendons donc qu'elle soit adoptée par le parlement, qu'elle soit publiée, puis qu'elle soit mise en application avant d'envisager ses implications.
Ce que nous pouvons en dire, à ce stade, c'est que, pour la première fois, voilà un texte de loi qui a fait l'objet d'une concertation soutenue avec tous les professionnels du secteur, lesquels se sont entendus pour faire des propositions concrètes qui ont été prises en compte, en tout cas dans le projet de loi dont nous avons eu connaissance. Cela est assez rare pour être relevé et souligné.
Dans la pratique et si le projet, dans sa mouture actuelle, aboutit, une des principales innovations qu'il introduit pour le secteur pharmaceutique est la responsabilité pharmaceutique, un principe qui est appliqué dans tous les pays du monde. Cela signifie que tous les fabricants de médicaments mis sur le marché devront avoir une présence effective dans notre pays ou la confier à un producteur local ; en d'autres termes, les fabricants étrangers ne pourront plus déléguer la responsabilité sur leurs produits à des importateurs qui n'ont aucune capacité à l'assumer. Et, pour information, cette responsabilité englobe non seulement les aspects qualité mais également ceux touchant à la disponibilité permanente de leurs produits pour les patients, ce qui permettra à nos autorités de disposer d'un réel levier pour la régulation effective de l'approvisionnement de notre marché.
Quelles sont actuellement les principales contraintes à la production du médicament en Algérie ?
À l'Unop, cela fait des années que nous disons que si la production nationale a fait des bonds énormes, le système de régulation est encore trop sommaire et plutôt dimensionné à l'échelle d'une économie qui s'était organisée pour l'importation. Notre administration n'a pas suffisamment pris la mesure de l'effort de mise à niveau qu'elle doit accomplir pour soutenir le développement de la production, encourager les investisseurs, faciliter la diversification des produits, aider à pénétrer les marchés extérieurs, etc.
Les contraintes sont bien connues, elles touchent à la cohérence indispensable de l'action de plusieurs ministères qui agissent aujourd'hui séparément, comme ils l'entendent. Il y a lieu de désigner "un chef d'orchestre" qui soit le dépositaire de la mise en œuvre de la volonté politique affichée. Des réformes sont attendues dans les procédures d'enregistrement des médicaments, qui prennent des mois, tout simplement parce que l'administration actuelle est débordée et manque des ressources humaines et matérielles nécessaires. Cela concerne les décisions en matière de fixation des prix des médicaments, la rémunération des producteurs doit être assez confortable pour assurer la pérennité de leur développement. Il est aussi attendu une simultanéité indispensable entre les décisions d'enregistrement et celles du remboursement pour mettre fin à ces pertes de temps préjudiciables pour les producteurs. Cela concerne également les pertes liées aux fluctuations des taux de change qui peuvent affecter durement les coûts de nos intrants, alors que nos prix finaux sont gelés sur cinq années ; et dans le même temps les fournisseurs étrangers bénéficient d'une garantie de change, leurs prix à eux étant formulés en devises. Cela s'étend aux coûts de la formation qui sont pour l'essentiel assumés directement par les seuls fabricants, l'Etat, qui dépense par ailleurs des budgets faramineux en la matière, ne prenant pas en compte les besoins spécifiques de notre industrie.
Pour résumer, aujourd'hui tout le monde admet qu'il faut soutenir le développement de la filière pharmaceutique nationale, mais si l'orientation des plus hautes autorités est claire, la logistique ne suit pas. Bien sûr, ce problème de l'environnement des producteurs est systématique au sein de notre économie, mais le secteur pharmaceutique est encore plus fragilisé, dans la mesure où il est sujet, comme partout dans le monde, à des réglementations extrêmement sévères.
K. R.


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