Ahmed Djoghlaf est le coprésident, en compagnie de l'Américain Daniel Reifsnyder, du comité de négociation de l'accord de Paris et ex-secrétaire exécutif de la Convention sur la diversité biologique (2005-2012). Il a été de toutes les étapes de préparation de la COP21 qui s'ouvre officiellement ce lundi 30 novembre. Il s'est ouvert à "Liberté" qui l'a rencontré dans son bureau au siège du ministère des Affaires étrangères, avant son départ pour Paris. Liberté : L'Agence américaine océanique et atmosphérique (NOAA) vient d'annoncer que les 10 premiers mois de l'année 2015 ont été les plus chauds jamais enregistrés. Un état des lieux qui donne encore plus d'importance à la COP21 qui débutera le 30 novembre prochain... Ahmed Djoghlaf : Ce sont la Nasa et le département d'Etat américain qui l'avaient annoncé en septembre déjà, donc avant même la fin de l'année 2015. Tous les records de chaleur, depuis le début des enregistrements météorologiques en 1860, sont en effet battus. Le record était détenu par l'année 2014 et avant c'était l'année 2008. Donc la décennie qui vient de s'écouler a été la plus chaude jamais enregistrée. Cela est dû à l'être humain. Il y a eu un rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur les changements climatiques. Il s'agit de 2 500 scientifiques de 130 pays qui publient tous les cinq ans un rapport sur l'état du climat. Le premier en 1990, qui a donné naissance à la convention, et le dernier l'année dernière, en octobre 2014. Et le rapport est formel, la terre se réchauffe de plus en plus. Et la cause principale, c'est l'Homme. Chaque seconde, il y a 1,2 million de tonnes de CO2 qui sont émises dans le monde et ces gaz mettent des siècles pour disparaître. Donc, il y a une telle concentration que nous sommes arrivés à ce que les experts appellent, au chiffre de 400 PPM (parties par million, l'air une fois séché contient 400 molécules de gaz carbonique par million de molécules, ndlr) et c'est du jamais vu depuis 400 000 ans. Pour vous donner une petite idée, quand la révolution industrielle a commencé, donc bien avant ces émissions de CO2, de charbon, de pétrole, de gaz naturel, c'étaient 86 PPM. Les experts affirment que si nous continuons comme ça, nous allons arriver à 1 000 PPM, ce qui veut dire que la terre va se chauffer davantage avec une augmentation des températures jusqu'à 8 degrés. Depuis la révolution industrielle, il y a eu une augmentation de 0,85 degré seulement et vous voyez les conséquences avec les changements climatiques. Avec 8 degrés, ça va être l'enfer et certaines régions vont devenir inhabitables. C'est pour cela que les experts disent que le seuil de non-retour, c'est au-delà de deux degrés. Si nous dépassons ce seuil il y aura des conséquences irréversibles, et nous pourrons dépenser des milliards de dollars après, mais nous ne pourrons plus réparer les dommages. Ainsi, l'accord de Paris vise que la communauté internationale, les 196 Etats membres de cette convention, puisse travailler ensemble de façon solidaire pour éviter de dépasser le seuil de l'irréparable. Vidéo réalisée par Salim KOUDIL (1re partie) Croyez-vous que ces pays vont tenir leur engagement même après avoir signé l'accord ? Dès 2011, et après l'échec de Copenhague (sommet sur le climat, COP15, qui s'est déroulé dans la capitale danoise en 2009, ndlr), ces 196 pays ont décidé, souverainement, d'adopter un nouvel accord, différent de Kyoto (le protocole de Kyoto est un accord international visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, signé en 1997, ndlr). À Kyoto, c'était limité à 42 pays industrialisés. Donc lors de la conférence de Durban, en Afrique du Sud, ils ont décidé qu'en 2015, il y aura un accord universel et donc un comité a été institué dès 2011 pour préparer cet accord. Il y a un engagement d'Etat et donc il est impossible pour nous de terminer la conférence sans accord. Bien sûr, la tâche n'est pas aisée. C'est toute l'économie mondiale qui est en question. Ça dépasse l'écologie... Oui, bien sûr. Sans énergie, il ne peut pas y avoir de développement. Mais quel type d'énergie ? Surtout que les perspectives en matière d'investissement pour les besoins énergétiques continuent de croître. On parle de plusieurs trillions de dollars pour satisfaire les besoins, et donc c'est un marché énorme... Bien sûr il s'agira de continuer à utiliser l'énergie la moins polluante afin d'éviter d'augmenter la température. L'enjeu est là. Qui dit utilisation de l'énergie, dit compétitivité. Le cas du charbon, qui est une source abondante, bon marché et disponible. C'est pour cela que certains pays l'utilisent. Vidéo réalisée par Salim KOUDIL (2e partie) Les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre dans le monde étant les pays industrialisés, que feront l'Algérie et les autres pays africains pour faire entendre leur voix lors de cette COP21 ? C'est le cœur de la problématique dans les négociations. Il y a une responsabilité historique. Ces gaz à effet de serre sont dus à ce qui a été fait par les pays industrialisés depuis des siècles. Et nous, les Algériens, nous payons un prix fort pour un phénomène dont nous ne sommes pas responsables. Ces pays industrialisés ont une responsabilité historique et doivent prendre la direction des efforts et doivent également fournir l'assistance financière nécessaire aux pays en voie de développement. Il y a donc la responsabilité historique, la justice historique, mais nous avons aussi la justice distributive. Concernant l'Algérie, elle n'a pas contribué, ne contribue pas et ne contribuera jamais parce que le mix énergétique du pays est vertueux. Nos émissions au niveau mondial, c'est 0,3%. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas faire des efforts pour une utilisation rationnelle de nos énergies fossiles. En plus de cela, l'avenir du pays consiste en une énergie permanente et non polluante, les énergies renouvelables. Pour vous donner une petite idée, en Allemagne, ils ont 800 heures d'ensoleillement par an et une importante partie de leur électricité qui est générée par le solaire. L'Algérie a 2 500 heures d'ensoleillement par an sur tout le territoire national, et sur certaines régions, ce sont 3 600 heures. Le 12 novembre dernier, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a affirmé qu'un accord à la COP21 ne sera pas contraignant. Le président français lui a dit le contraire. Qui des deux dit vrai ? Comme je l'ai dit, ça a été décidé en 2011 lorsque le processus a été lancé à Durban par les 195 Etats, y compris les Etats-Unis, il était clair que l'accord de Paris sera juridiquement contraignant. Ce sera soit un protocole, soit un autre instrument juridique, soit un résultat avec force obligatoire. Cela c'était en 2011. Maintenant, le texte qui est soumis à la conférence de Paris a tous les attributs d'un traité international. Ce que M. Kerry a voulu dire, c'est que certaines obligations de ce traité, et en raison de la législation des Etats-Unis, ne devraient pas être contraignantes. Donc, ce n'est pas tout le corpus qui sera adopté. Les engagements peuvent être contraignants, mais la mise en œuvre ne devrait pas être contraignante. Vidéo réalisée par Salim KOUDIL (3e et dernière partie) Cette réaction américaine risque d'encourager d'autres pays à ne pas appliquer l'accord attendu... Nous ne pouvons pas prendre des engagements sans avoir un processus d'évaluation. Cela ne veut pas dire qu'il y aura des sanctions comme certains le pensent ou l'espèrent. Ce n'est pas parce qu'il y a des prisons qu'on a moins de criminels. Il y aura donc une évaluation mais d'une façon non punitive, mais incitative. C'est-à-dire que les pays qui ne peuvent pas doivent être aidés en termes financiers et en termes de transferts de technologies. Les attentats du 13 novembre dernier à Paris ont-ils eu des incidences sur le programme de la conférence ? Ils ont annulé tous les événements qui n'allaient pas se tenir dans l'enceinte de la conférence. Concernant la délégation algérienne à la conférence, qui d'autre à part vous sera présent ? J'ai été élu en tant que coprésident du comité préparatoire. Je ne représente pas l'Algérie, mais les 195 Etats. Il y aura bien sûr la délégation algérienne qui sera conduite par le Premier ministre. Il lui appartient de défendre les intérêts de l'Algérie. La société civile algérienne sera-t-elle représentée ? Initialement, il était prévu la présence de maires, de walis, des membres de l'APN parce que ce traité va être ratifié par les Parlements. Il y a également des ONG et des représentants du secteur privé et public, puisqu'il y aura un sommet des chefs d'entreprise. C'est une alliance globale qui va être créée et l'Algérie, je pense, sera présente à tous ces événements. Entretien réalisé parSalim KOUDIL @SalimKoudil