À regarder de près nous ne disposons pas à ce jour d'un plan anti-crise intégré et formalisé. Il y a, certes, des mesures qui ont été prises par différentes sphères des pouvoirs publics, en fonction de leur propre évaluation de la menace, sans pour autant être inscrites, pour le moment, dans un plan global cohérent décliné par les différentes institutions en charge de la mise en œuvre. Il y a plusieurs raisons à cela. Par ordre chronologique, la première raison a été la sous-estimation de la crise pour, au passage, ne pas "démoraliser" l'opinion publique. Cette sous-estimation a été entretenue par la fausse idée d'une crise passagère et de faible amplitude à l'instar de celle de 2008. C'était le discours ambiant servi au cours du deuxième semestre 2014 et même le premier semestre 2015. Circulez il n'y rien à voir. Seule la Banque d'Algérie, disposant d'un "logiciel" opérationnel, mis au point et utilisé durant les crises de 1986, 2008 et 2014, a entamé très tôt le processus de dépréciation du dinar pour amortir un choc extérieur violent et durable. Ce qui a atténué notamment les retombées sur la fiscalité pétrolière. La deuxième raison est l'inexistence d'une institution exécutive vigie qui capte les signaux faibles et propose des plans intersectoriels d'une riposte réformatrice structurelle. Les uns l'appellent "institution cerveau", d'autres de culture anglo-saxonne, l'identifient comme une "delivery unit". En l'absence de cette institution, chaque secteur donne alors sa propre grille de lecture pour se prémunir : le secteur de hydrocarbures propose ainsi d'augmenter (à la marge ?) la production, le secteur du commerce de mettre en place des licences pour contenir les importations, etc. Mais le fait est que, paradoxalement, la plupart des secteurs déclaraient publiquement ne pas être concernés par les mesures de "rationalisation budgétaire". La troisième raison est d'ordre politique : la séquence d'examen au Parlement du projet de loi de finances pour 2016 l'illustre parfaitement. Malgré le caractère progressif et, somme toute, peu brutal de certaines augmentations (carburants, électricité, etc.), ainsi que l'augmentation mécanique des transferts sociaux, le gouvernement a eu du mal à faire passer la loi de finances pour 2016. D'où, me semble-t-il, de la part de ce dernier, un traitement segmenté des conséquences de la crise par doses homéopathiques. Sauf que pour 2017 et après, les marges de manœuvre devenant plus serrées, les arbitrages budgétaires deviendront plus difficiles à faire socialement et politiquement. C'est tout cela qui me fait dire qu'il est temps de passer d'un traitement factuel et partiel de la crise à un traitement global et structurel mais couplé avec une mise un œuvre progressive et consensuelle autant que possible. Il s'agit d'abord de dire la vérité sur l'amplitude et la durée de la crise pétrolière pour ne pas se nourrir de fausses illusions. Lors d'une conférence que nous avons faite la semaine dernière à Alger, conjointement avec Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques énergétiques (SPE) nous convergions sur le fait qu'il ne fallait pas s'attendre à une remontée significative des cours du pétrole brut avant 2020 (autour de $80, selon l'AIE). Cette remontée des prix du baril de pétrole, autour de 2020, sera la conséquence directe d'un désinvestissement déjà engagé dans la branche internationale des hydrocarbures qui entraînera à moyen terme une baisse de l'offre mondiale. Cette borne temporelle renseigne bien, sur le fait que tout plan anti-crise ne peut être qu'un plan de moyen et long termes avec des réformes structurelles. Ces dernières doivent infléchir nos modèles de consommation dispendieux caractérisés par le gaspillage et la fuite des produits aux frontières et installer un autre modèle de croissance, esquissé notamment par le Cnes et quelques associations (Nabni, Care). C'est cela qu'il faudra soumettre au débat politique et social pour construire, à défaut d'un consensus, un large rassemblement. On passera forcement par des dialogues contradictoires et des débats libres et transparents pour équi-répartir les sacrifices affichés entre tous les segments de la société, en mettant en place des amortisseurs sociaux pour les couches les plus vulnérables Dans ce large mouvement politique et social à initier, il conviendra d'isoler puis de réduire les forces prédatrices installées pour l'essentiel dans les activités d'import mais pas seulement. Cela donnera plus de force et de motivation aux forces productrices émergentes privées et publiques qui porteront ensemble le nouveau modèle de croissance. C'est la seule ligne de clivage compatible avec une sortie de crise par le haut. Opposer le secteur public au secteur privé affaiblira ce front. Avancer des recettes néolibérales qui ont échoué ailleurs également. Maintenir des postures populistes aussi. À cet égard, les crises économiques et sociales ayant entraîné les changements des majorités politiques au Venezuela et en Argentine donnent sérieusement à réfléchir. En conclusion, les éléments indiqués plus haut peuvent être considérés seulement comme une esquisse de l'engineering de base d'un plan de sortie de crise. Quant à l'engineering de détail on peut le retrouver notamment, et à titre d'illustration, dans les dernières productions du Cnes et les travaux récents de Nabni. Un chantier à ouvrir. Maintenant.