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Loi de finances 2016 (LF 2016) : point d'appui pour les réformes structurelles ?
EN TOUTE LIBERTE
Publié dans Liberté le 02 - 12 - 2015

Il me semble que c'est la première fois, depuis le début de la crise pétrolière de juin 2014, que le débat sur les réformes structurelles dont a besoin l'économie algérienne est réellement engagé.
Les deux moments déclencheurs ont été la présentation au Parlement du projet de la LF 2016 par le gouvernement et la présentation publique, de façon concomitante, du rapport de conjoncture du premier semestre 2015 par le Conseil national économique et social. Avant ces deux événements, la parole de quelques institutions (Banque d'Algérie, Cnes), de certains think tanks (Nabni, Care) et de beaucoup d'experts n'était pas audible tant les effets de la crise avaient été sous-estimés pendant une longue période par toutes les parties prenantes, y compris les pouvoirs publics et la classe politique.
Rappelons-nous des hypothèses initiales de cadrage de la LF 2015. Rappelons-nous des déclarations récurrentes et itératives des responsables des secteurs affirmant que les restrictions et les coupes budgétaires ne les concernaient pas. Aussi il convient d'afficher quelques éclairages utiles de nature à favoriser un retour à un débat apaisé et serein sur la LF 2016, loin des envolées lyriques maximalistes que nous avons enregistrées la semaine dernière. Des chiffres pourtant rappelés à juste titre par la commission des finances de l'APN : à la fin de l'exercice 2016 le déficit de la balance commerciale sera de $ 26,4 milliards, celui de la balance des paiements de $ 30,3 milliards auquel il faut évidemment ajouter un déficit budgétaire de $ 25 milliards. Ce qui donnera à fin 2016, mutatis mutandi, des capacités de résilience réduites : des réserves de change de $121 milliards seulement mais surtout un fonds de régulation des recettes (FRR) largement entamé qui ne disposera plus que de $ 7 milliards pour éponger les déficits budgétaires ultérieurs. Ce dernier chiffre se calcule en retranchant les $ 25 milliards de déficit budgétaire prévu pour 2015 des $ 32 milliards dont dispose le FRR à fin juin 2015 (3441,3 milliards DA selon la Banque d'Algérie). Dis plus directement, les arbitrages budgétaires pour 2017 seront autrement plus douloureux que pour ceux de 2016. D'où la nécessité d'engager des réformes structurelles dont certaines d'entres elles sont annoncées, voire esquissées à la faveur de la LF 2016. Lesquelles ? Un premier tabou est tombé dans cette LF 2016 : celui d'une énergie carbonée ou d'origine carbonée délivrée aux ménages et aux entreprises à des prix très bas qui ont pour conséquence son gaspillage, et pour celle qui est liquide sa fuite aux frontières en plus. Une TVA qui passe de 7% à 17% pour le gasoil ; idem pour les consommations de gaz naturel supérieurs à 2500 thermies par trimestre et celles d'électricité supérieures à 250 kwa/heure. Cela en attendant la mise à plat de notre modèle de consommation énergétique dans son ensemble pour encourager notamment les énergies renouvelables. L'exemption de la vignette automobile contenue dans la LF 2016 au profit des véhicules à carburation au GPL ou au GNC est un pas dans cette direction. S'agissant du soutien à la diversification de l'économie, la LF 2016 propose un régime fiscal et douanier préférentiel pour "les industries naissantes". De plus, les promoteurs ne sont plus tenus de réinvestir leur part de bénéfice correspondant au montant des exonérations et/ou de réductions d'impôts obtenus. Dernier point pour terminer avec les avantages accordés par la LF 2016 aux investisseurs résidents et non résidents. Lors de la présentation ouverte aux médias du rapport de conjoncture du premier semestre 2015, un reporter d'un journal en ligne orienté vers le Maghreb a cru bon écrire, en rendant compte dans son papier des travaux du Panel d'ouverture que j'avais modéré, que je faisais preuve de "one, two, trisme". Ce barbarisme, que tout le monde comprend chez nous, a été utilisé délibérément pour démonétiser mon propos sur un benchmark superficiel, et pour tout dire inapproprié avec la Tunisie et le Maroc que l'on nous sert régulièrement. Alors je persiste et je signe. L'économie tunisienne est malheureusement entrée en récession et son segment aval industriel, bien mal en point, n'a pu éviter ce naufrage. Quant à l'économie marocaine, l'enquête de conjoncture Bank Al-Maghrib (BAM) nous apprend que pour "les cinq premiers mois de l'année l'ensemble des branches industrielles, hors branche agroalimentaire, a reculé". Au plan structurel, Sofia Tozy, économiste à la Coface spécialisée dans les pays du Maghreb, nous indique, dans une interview à l'Usine Nouvelle du 4 août 2015 "qu'au Maroc, l'investissement public reste le principal soutien à la croissance".
Ajoutant par ailleurs, en réponse à une question sur le modèle de développement marocain : "Le Maroc possède une industrie relativement limitée. Elle est très peu capitalistique et exposée à la concurrence internationale. En outre elle a des débouchés très peu diversifiés en termes d'exportation". Alors regardons vers d'autres modèles plus résilients du point de vue industriel tels que ceux du Chili, de la Malaisie ou tout simplement celui de l'Indonésie qui a réussi sa diversification par défaut, ayant épuisé sa rente pétrolière. C'est ce que je voulais exprimer en souhaitant par ailleurs l'émergence des économies de nos voisins.
Mais le parcours est encore long pour tous. Y compris pour nous. La propension à opérer des réformes structurelles, pour douloureuses qu'elles soient, s'est, de mon point de vue, consolidée pour deux raisons. La première renvoie à une construction laborieuse mais perceptible d'un consensus d'abord sur les finalités de sortie de la crise par le haut et ensuite sur les voies qui y mènent.
La seconde est due à la perception collective et partagée à présent d'un danger annoncé ; d'où d'ailleurs cet article 71 controversé qui est un instrument budgétaire offrant une latitude au gouvernement de raboter davantage au cours de l'exercice budgétaire par des "décrets d'ajustements". Alors vive la crise ? On verra plus tard au résultat. Car là on est dans le temps long.
M. M.


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