Avant même son naufrage, le Béchar constituait une grave infraction aux règles de la sécurité maritime. Ses différentes défaillances ont figuré au cœur d'un rapport exhaustif qui a été adressé par des commandants de navire à la direction générale de la Compagnie nationale de navigation, mais également au ministère des transports mis au courant de la déliquescence du Béchar. Au lendemain du drame, les officiers, qui sont également membres du syndicat national des officiers de la marine marchande (Snommar), ont porté à la connaissance de l'opinion publique leurs constatations accablantes sur l'état de la flotte, notamment sur l'état du Béchar. L'un d'eux est le commandant Lakel. Il a quitté le cargo naufragé le 10 octobre dernier au terme d'un séjour de quatre mois. Au cours de sa présence à bord, le capitaine a pris connaissance des fameuses “négligences graves” qui motivent, aujourd'hui, les charges judiciaires. “Les certificats statutaires de sécurité et de classe avaient expiré en mars 2004”, nous a-t-il confié hier. Ces précieux documents sont indispensables pour assurer la navigation du bateau et surtout son accostage dans des ports étrangers. Sur ce plan, les responsables n'avaient pas de quoi s'inquiéter puisque l'embarcation était mise en rade et cela dans l'attente d'être vendue. Largué au large, le Béchar était à l'abandon. La visite d'inspection annuelle dont il devait faire l'objet n'a pas eu lieu. En théorie, ce genre d'audit est nécessaire pour le renouvellement des certificats, dit les Safety management system (SMS). Le dernier rapport d'inspection date de novembre 2003. L'absence d'entretien est une autre affaire. “Nous étions de simples gardiens à bord”, relate le commandant Lakel. à cause de ce genre de révélations, il est, aujourd'hui, à la rue. Le motif retenu par la direction de la compagnie dans son licenciement et celui de ses collègues évoque “une atteinte grave au pavillon national”. Hier, les quatre commandants étaient convoqués au siège de l'inspection du travail pour le règlement de leur affaire. Cependant, compte tenu des derniers évènements, la séance de conciliation a été reportée ultérieurement. Maintenant que la justice leur a donné raison, ils demandent leur réintégration. Pour autant, cette revendication n'est pas prioritaire. “L'essentiel est de permettre aux familles des victimes de faire leur deuil”, dit M. Lakel. De son côté, la justice, qui a commencé à faire son travail avec une célérité inédite, doit identifier tous les responsables, sans exception. S. L.