Liberté : Un débat juridique très intense se déroule autour du projet de loi sur la déchéance de la nationalité. Quelle est votre opinion sur le sujet ? Jean de Gaudusson : Beaucoup de discussions d'ordre juridique ont cours actuellement en effet. Le débat devient compliqué car il implique des interprétations diverses et parfois opposées du droit. Dans l'absolu, rien n'interdit une révision constitutionnelle. Mais certaines révisions peuvent poser problème dès lors qu'elles portent atteinte à un socle de valeurs fondamentales et de droits inscrits justement dans la Constitution. On peut se demander, en effet, si l'extension de la déchéance de la nationalité aux binationaux ne porte pas atteinte au principe de l'égalité des citoyens, à l'indivision de la citoyenneté et au droit de sol. Le défenseur des droits, Jacques Toubon, a raison de dire que cela aboutirait à la création d'une double citoyenneté. Certains juristes pensent que cette révision pourrait constituer un précédent et servir, hors contexte, d'alibi aux politiques ? Il y a, en effet, un risque très théorique de voir cet amendement utilisé dans un autre contexte et justifier des politiques liberticides. Dans les années 40, le gouvernement de Vichy s'est servi de la loi pour déchoir les juifs et les résistants de leur nationalité française. Evidemment, il n'y a aucune comparaison possible à faire entre ce régime-là et l'actuel. Je comprends tout à fait également le contexte dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui avec une menace terroriste importante. Cependant, il faut savoir que les contextes changent. Le président de la République a pris une décision que les Français approuvent dans leur majorité. Or, l'histoire nous a montré qu'on peut agir de manière juste et courageuse, sans le soutien de l'opinion, comme cela a été le cas pour la suppression de la peine de mort et l'autorisation de l'avortement. Pour mettre fin à la polémique, des responsables du Parti socialiste demandent que la déchéance de la nationalité soit appliquée à tous ceux qui se rendent coupables de terrorisme, binationaux ou pas. Cette proposition est-elle réalisable ? Cette proposition est absolument absurde. Nous, juristes, comprenons que les politiques puissent chercher des solutions. Mais il faut qu'elles soient réalisables. L'extension de la déchéance de la nationalité française à tous s'oppose au code civil qui interdit de rendre un citoyen apatride. Certains proposent à la place de cet amendement des mesures plus symboliques comme l'indignation nationale. Aujourd'hui, la classe politique est confrontée à la même situation : vouloir systématiquement apporter des réponses juridiques aux problèmes politiques. Ce qui est très difficile. S. L.-K.