-Da Akli, pourrais-tu accompagner Yazid à l'école ? demande sa belle-fille Djamila. Comme tu peux le constater, je suis très occupée... Le vieux beau-père trouve qu'elle est en train d'abuser de sa gentillesse, mais en voyant la baignoire pleine de linge sale et la cuisine où tous venaient de déjeuner, il se retient de faire un commentaire. Ce ne sera pas aujourd'hui, mais il a l'intention de discuter avec son fils aîné. Certaines choses devaient changer. Cela faisait à peine un mois depuis qu'il était ici que certaines tâches lui étaient toujours destinées. Si au début, il les faisait avec plaisir, heureux de se rendre utile, aujourd'hui elles lui paraissent comme des travaux forcés. Il y avait les courses à faire, le plus jeune de ses petits-enfants à emmener d'école. Quant au jeudi où il devait les surveiller quand sa belle-fille partait au hammam ou allait rendre visite à ses parents, c'était une journée qui ne voulait pas finir. Les enfants sont, certes, adorables, il les aime plus que tout, mais ils sont si fatigants qu'avant le retour de leurs parents, ils le mettaient à genoux. Vraiment à genoux... -Il en est à sa troisième année, fait-il remarquer. Il connaît le chemin par cœur... Comment faisait-il avant mon arrivée ? -Son père ou moi s'en chargeait, répond Djamila. Yazid a toujours eu peur de traverser les rues tout seul... Si tu ne veux pas l'emmener, je vais l'emmener... Je ne veux pas qu'il arrive en retard ! -Ça va, je vais le faire ! Da Akli prend la main de son petit-fils et sort de la maison, les épaules affaissées. Il se sent las ces derniers temps. Il se reproche son excès de mauvaise humeur. Sa belle-fille, ses petits-enfants n'y sont pour rien. Ils ne sont pas responsables de la cause de sa lassitude. Là où il va, c'est toujours pareil. Au bout de quelques jours, il a toujours la sensation d'avoir à tout faire pour excuser sa présence parmi eux. Il regrette sa femme. Un cancer avait vite eu raison d'elle. C'était il y a dix ans. Dix ans déjà ! Da Akli ne peut s'empêcher de marmonner entre ses dents, en constatant que le temps s'était écoulé sans elle, qu'il ne l'avait pas rejointe. Zohra, sa douce, sa moitié... -Papy, tu es fâché contre moi ? -Non mon fils, dit-il avec un sourire rassurant, tout en pressant un peu sa main dans la sienne. Seulement avec mon destin... -Je ne comprends pas, répond l'enfant. Avec ton destin ? C'est quoi le destin ? -Tout dépend de lui... S'il veut que tu aies une vie heureuse et comblée, ou malheureuse et solitaire, murmure le grand-père qui songeait à sa propre vie. J'ai été très heureux avec ta mamie, tes oncles et tes cousins... Mais je termine ma vie seul, allant chez l'un, chez l'autre... Parfois, j'ai l'impression de les encombrer, de les déranger ! -Pourquoi partir chez les autres ? Tu restes avec nous... Tu dormiras dans la même chambre que moi, pas au salon, propose l'enfant. Comme ça, tu ne finiras pas ta vie seul... Tu es d'accord pour partager ta chambre avec moi ? -Bien sûr ! Mais es-tu sûr de pouvoir supporter mes ronflements les nuits à venir ? Le vieux rit doucement à la mine inquiète et surprise du petit. Ce dernier devait regretter sa proposition. -Te voilà arrivé à destination, lui dit-il. Inutile de t'en faire pour les nuits, je ne ronfle pas... Va fiston ! Sois sage en classe ! Le petit Yazid embrasse son grand-père avant d'entrer dans la cour de l'école. Da Akli décide de retourner à la maison. Il a envie d'une petite sieste. Seulement, il ne pourra pas la faire. Il y a du monde à la maison, rien que des femmes (À suivre) A. K.