"Ce rendez-vous revêt une valeur mémorielle, du fait qu'il est grand temps que l'on se réapproprie ce patrimoine si indispensable au chroniqueur et à l'historien, pour pérenniser ce legs que nous nous devons d'enseigner à notre jeunesse." Jamais de mémoire de Casbadji, il n'y a eu autant de monde qu'en cette matinée d'avant-hier, venu à l'appel de l'association les Amis de la rampe Louni-Arezki, pour y commémorer la journée nationale de la Casbah. On aurait dit que c'est le tout Alger qu'était accoudé au "darbouz" de l'ancien quartier de la rampe baptisée du nom de l'innommable général Sylvain-Charles Valée (1773-1846), qui commandait l'artillerie et le génie militaire lors de la seconde expédition de Constantine. Pendant ce temps, d'autres invités s'agglutinaient tout contre la façade d'El-Menzah, où résida l'émir Khaled, a-t-on su du poète Rabah Haouchine, l'auteur du recueil Beit Q'cid. Et vue du haut de l'avenue Hahad-Abderrezak (ex-Verdun), les "droudj" de Sidi Abderrahmane étaient submergés par le flux d'anciens Casbadjis, venus se ressourcer le temps d'une visite guidée au cœur de l'histoire de la Casbah, qui a tout l'air d'une excursion dans le temps, où la vieille médina s'embaumait de jasmin et de nouar lâachiya. C'est le cas d'Ahmed Doum, l'auteur D'Alger à la prison de Fresnes 1945-1962, venu retrouver la houma de son enfance, à l'instar de Zerka Mohand-Amokrane, professeur de design graphique et aménagement à l'Ecole nationale des beaux-arts d'Alger, ainsi que la dame Djazouli, venu de Chlef aux côtés du corps professoral de l'université d'Alger. "Ce rendez-vous revêt une valeur mémorielle, du fait qu'il est grand temps que l'on se réapproprie ce patrimoine si indispensable au chroniqueur et à l'historien, pour pérenniser ce legs que nous nous devons d'enseigner à notre jeunesse. D'où l'urgence de l'heure, pour que ce don de l'histoire de l'Alger d'antan soit aimé, respecté et conservé par nos jeunes. Ce n'est qu'à cette condition que ce legs sera préservé de l'oubli, de l'affront du temps et de l'incivilité de l'homme", a déclaré Aït Aoudia Lounis, président de l'association les Amis de la Rampe Louni-Arezki. Et aux environs de 10h, la procession de femmes et d'hommes de lettres s'ébranla pour une ziara (visite) au mausolée de Sidi Abderrahmane, le saint gardien d'Alger, et de là vers la médersa Thâalibia d'Alger, où l'Ouast Eddar de l'édifice de l'érudit Mohamed Bencheneb (1829-1929) s'est avéré trop exigu pour recevoir autant de convives. D'habitude si noir de monde et de vendeurs informels, l'avenue Arbadji-Abderrahmane (ex-Marengo) s'était éclairée à la lumière de flashs d'appareils photo pour immortaliser, l'instant d'un souvenir, la boulangerie sise au 31 de l'ancienne rue Marengo qu'était le relais du PPA-MTLD, où activait le militant Sid Ali Abdelhamid. Au-delà de ce bastion du mouvement national, le défilé s'était arrêté auparavant au pied de l'immeuble sis au 25, Abderrahmane-Arbadji, où était né l'acteur écrivain Roger Lévy dit Roger Hanin (1925-2015) et où avait vécu également Aït Ouarab Mohamed Idir Halo, dit Hadj M'hamed El-Anka, qui avait pour voisin le musicien Kaddour Bachtobdji. Que dire d'autre, si ce n'est d'introduire au plus vite un dossier de classement pour sauver des vestiges qui content l'Alger et dont l'effrayant aspect d'IMR (immeuble menaçant ruine) menace d'ensevelir à tout jamais moult endroits chargés de souvenirs. S'il en est une preuve, celle-ci est à chercher en haut des escaliers de la z'niqa Mustapha-Hadjadji (ex-Cagliata), où la mythique salle de cinéma Nedjma n'est plus que ruine et poussière. Pis, la fréquentation du "tabakh" (petit restaurateur) de "kebda m'charmla" est en chute libre à l'avoisinante z'niqa de Sidi-Abdellah, en raison de la vétusté des lieux, et pendant ce temps, au populeux et populaire Djamaâ Lihoud, la mosquée Farès (ex-synagogue du Grand Rabin-Bloch) s'en trouve agressée par l'hideuse niche d'ordures, en signe d'offense à la place baptisée du nom du fidaï Amara-Ali dit Ali la Pointe. À ce propos, l'ancienne avenue Marengo conserve en ses murs la mémoire collective. Pour l'exemple, c'est au 2, rue Rabin-Bloch qu'il y eut la création, en date du 23 mars 1954, du Comité révolutionnaire d'unité et d'action (Crua) par Mostefa Ben Boulaïd, Mohamed Boudiaf, Mohamed Dekhli et Ramdhane Bouchbouda, alias Ould Amri, a-t-on appris de notre guide Lounis Aït Aoudia, à qui il manquait un mégaphone pour se faire entendre de l'assistance. Ultime étape, la rue d'Anfroville, où il y eut le tirage du journal Action-Algérie en 1941. C'est dire que la Casbah ne se raconte pas, mais se vit à l'invitation d'une pause café à Qahwet Rabah-Ougana ainsi qu'à l'estaminet de Moh-Salah, après s'être rafraîchi du Vent des Aurès qui souffle du café de Batna. Louhal N.