Le phénomène n'est qu'à ses débuts. Il convient, néanmoins, de le dénoncer, a estimé le président de l'Ordre des pharmaciens. "Un réseau de trafic commence à se tisser dans la corporation des pharmaciens. Pour cette raison, nous tirons la sonnette d'alarme avant qu'il ne soit trop tard. Peut-être que le maillon faible est dans l'absence du corps d'inspecteurs de pharmacies", a soulevé Lotfi Benbahmed, président de l'Ordre des pharmaciens, hier, lors d'une rencontre dédiée aux dangers du marché parallèle des psychotropes. Il a précisé qu'aussi bien des officines privées que des pharmacies relevant du secteur public sont mises à l'index. Il a, toutefois, nuancé ses propos en expliquant que la démarche de l'Ordre est plutôt préventive. "Nous dénonçons un phénomène qui débute. Ce ne sont pas, heureusement, tous les pharmaciens qui vendent des médicaments contrefaits." Le Dr Mohamed Sanadiki, vice-président de l'organisation, s'est montré, en revanche, plus alarmiste. Il a affirmé que ce trafic "prend des proportions inquiétantes dans le pays. Ce marché parallèle est détenu actuellement par des grossistes de parapharmacie". Les produits circulent, néanmoins, a-t-il affirmé dans son exposé, grâce "à des pharmaciens, peu consciencieux, qui achètent des médicaments sans vignette et sans traçabilité ; aux guérisseurs charlatans et aux délinquants". Il a précisé qu'au niveau mondial, ce marché est de 20 à 45% plus rentable que le trafic de drogues. "Pour 1 000 dollars investis dans les principes actifs et la matière première, les bénéfices sont de l'ordre de 200 000 à 450 000 dollars. Les médicaments contrefaits sont fabriqués essentiellement en Inde et en Chine, et vendus dans les pays sous-développés ou en voie de développement", a-t-il complété. Il a aussitôt conseillé aux pharmaciens et aux médecins prescripteurs de ne pas transgresser la nomenclature homologuée par la tutelle en matière de produits autorisés sur le marché national. Et même pour les produits ayant une AMM, les participants au Forum santé et pharma ont mis en garde contre l'abus dans la prescription des médicaments indiqués dans la maladie mentale, neurologique ou état d'anxiété. "Un psychotrope est avant tout un médicament. Au-delà de l'usage normal, il est détourné", a averti le Pr Nouria Benyakhlef, exerçant à l'hôpital psychiatrique Drid-Hocine. Elle a, à ce titre, regretté une certaine légèreté dans la prescription de ces produits par des praticiens qu'elle a qualifiés carrément de "chimiatres". Pour sa collègue au sein de l'établissement, le Dr Wahiba Gacem, il est impératif "d'établir un fichier national des malades mentaux afin d'éviter qu'ils ne se fournissent à plusieurs sources". Mme Kadache Ghania, représentante de l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie, a indiqué qu'en 2015, environ 57% de détournements d'ordonnances ont concerné deux substances (psychotropes) identifiées. C'est dire que malgré une réglementation assez stricte au plan de la traçabilité des neuroleptiques et antidépresseurs, le phénomène est loin d'être maîtrisé. Un délégué de la DGSN a affirmé que 393 429 comprimés de psychotropes ont été saisis par les agents de la Sûreté nationale, l'année écoulée. À la même période, les services des douanes ont intercepté 27 583 comprimés et 24 flacons de cette même substance. "Ces produits proviennent d'Europe par le biais de voyageurs ou de colis postaux, ou sont fabriqués aux frontières sud dans des laboratoires artisanaux", a informé un douanier. Il a tenu à sensibiliser sur la consommation de ces "drogues", qui conduisent "à la déperdition scolaire et à la déconcentration en milieu professionnel. Cette activité sert les réseaux criminels et terroristes". Mme Kadache est revenue à la charge pour signifier que "la répression n'a pas réussi à prévenir le trafic et la consommation de drogue, dont les psychotropes. Il faut réfléchir à d'autres moyens pour enrayer le problème". Souhila Hammadi