La conférence nationale des universités pour l'évaluation du système LMD, qui s'est tenue les 12 et 13 janvier 2016 au Palais des nations à Alger, a permis de relever certains aspects négatifs et de dévoiler des dysfonctionnements dans la gestion de nos universités. La gouvernance a été pointée du doigt comme étant une "insuffisance" dans la gestion actuelle de l'université, et un obstacle majeur à la réforme LMD. De nos jours, l'université est soumise à des pressions en faveur du changement. Elle est appelée à se redéployer, car sa contribution à la prospérité économique du pays est indispensable. Le rôle des universités dans les sociétés modernes est largement reconnu. Elles sont censées créer des connaissances, améliorer l'équité, répondre aux besoins de la société, et faire preuve de plus d'efficience dans l'accomplissement de ces tâches. Elles sont sollicitées pour apporter une contribution particulière à l'accomplissement des objectifs de l'Etat en matière de croissance, de prospérité et de cohésion sociale. Pour répondre à ces attentes, l'université algérienne doit relever d'énormes défis : être à l'écoute de son environnement, atteindre un niveau de qualité soutenant la comparaison internationale et surtout rénover sa gouvernance. Elle est appelée aussi à accroître et diversifier ses modes de financement. Ces objectifs majeurs supposent une mutation de l'enseignement supérieur avec une nouvelle vision qui doit être au centre des préoccupations stratégiques en matière de développement national. En Algérie, le programme du gouvernement a souligné l'importance du rôle prépondérant des établissements d'enseignement supérieur, et introduit souvent des réformes, telles que le LMD. Celui-ci est un système d'enseignement comme un autre. Abandonner le système LMD, retourner au système classique ou tout simplement greffer un autre système, fût-il importé d'une autre planète ne résoudra en aucune manière la situation actuelle de notre université. La solution réside surtout dans l'adaptation des mécanismes du LMD aux réalités de l'université algérienne. Tout ceci doit être accompagné évidemment par une stratégie qui donnera naissance à une nouvelle gouvernance universitaire. À ce jour, on peut constater que le tutorat a été un échec dans son application, en raison des hésitations de l'administration, du scepticisme des enseignants et de l'indifférence ou du manque d'enthousiasme des étudiants. Le tutorat est l'accompagnement de l'étudiant en dehors des tâches pédagogiques, pour lui faciliter son implication dans ce système d'enseignement afin de lui permettre d'acquérir une certaine autonomie dans sa formation, et de lui offrir les moyens de sa réussite à travers un encadrement de proximité. Un autre problème qui a été au centre des discussions de cette conférence est le déphasage de l'université avec les réalités socio-économiques du pays. L'offre de formations "à la carte" en adéquation avec les besoins des régions n'a pas répondu aux attentes des initiateurs du système LMD. Qui plus est, le manque de licences et de masters professionnalisants a été un autre défaut de la cuirasse du LMD, suite à la méfiance du monde de l'entreprise. Le ministre a déjà averti, haut et fort, avant la tenue de cette conférence, que "le système LMD ne sera pas abandonné". Alors que certaines actions menées actuellement par le MESRS prouvent le contraire : l'unification des programmes d'enseignement en graduation (licence et master), la réduction drastique des offres actuelles de formation en licence et en master, ou la future mise en place d'un doctorat unifié. Celles-ci vident le système LMD de sa substance originelle qui est la mise en place d'offres de formation spécifiques à chaque établissement universitaire. Il est tout à fait vrai, qu'au début de la mise en place du nouveau système LMD, les commissions chargées de l'évaluation des offres de formation étaient peu regardantes sur l'opportunité de leur ouverture. Ceci a donné naissance à des licences et des masters à profusion, et créé une véritable cacophonie en matière de spécialités. Le but évident recherché était de faire passer en force le système LMD, coûte que coûte, et de démanteler ainsi le système classique. Au final, des milliers de formations ont été agréées, souvent dupliquées et redondantes. L'action qui est engagée actuellement par le MESRS rappelle, à bien des égards, la manœuvre d'un pilote d'avion contraint à un atterrissage forcé, mais qui entreprend de faire un demi-tour en douceur vers l'aéroport de départ tout en évitant de créer une panique à bord. Pour réussir le processus de modernisation de l'enseignement supérieur en Algérie, il faut surtout adopter une nouvelle stratégie de gouvernance à l'université, diversifier les modes de financement des établissements supérieurs, favoriser l'assurance qualité et appuyer leurs responsabilités en matière de personnel académique et scientifique. Cette question a été maintes fois soulevée par les syndicats des enseignants. Le MESRS fait la sourde oreille à une revendication qui mérite pourtant une attention particulière. Il faut savoir que la réussite du système LMD sous d'autres cieux est due à plusieurs facteurs, entre autre la prédominance d'une bonne gouvernance à l'université. La nécessité de faire face à ces changements profonds afin d'améliorer la qualité de l'enseignement supérieur doit entraîner la révision en profondeur des structures actuelles de gouvernance des établissements. Il est évident que l'Etat va conserver un rôle central dans le contrôle et la coordination de l'enseignement supérieur puisqu'il est le seul pourvoyeur de fonds, mais il doit permettre une transformation progressive d'une étroite mise sous tutelle des établissements vers une gestion plus autonome suivie par divers acteurs externes. De même, la gouvernance interne des établissements, traditionnellement exercée par une équipe de direction centrée sur les immenses prérogatives du recteur, est restée figée depuis des lustres. Elle doit évoluer nécessairement vers des modes plus managériaux et collégiaux. Elle doit aussi mettre en lumière la diversité des modèles de gouvernance, par exemple en matière de direction, de gestion et de collecte de financements externes. L'université doit opérer sa mue vers une structure moins rigide et plus ouverte aux changements. En d'autres termes, la nouvelle gouvernance doit assurer le cadre dans lequel l'université poursuit ses buts, et ses objectifs stratégiques de manière cohérente et coordonnée. Elle doit répondre aussi aux questions suivantes : qui est responsable et quelles sont les sources de légitimité des décisions exécutives prises par les différents acteurs ? Peut-on assimiler la gestion d'une université à celle d'une entreprise, et considérer le recteur comme son chef ? Notre système d'enseignement supérieur a subi d'importantes transformations sous les coups de boutoir d'une série de changements nationaux et internationaux, comme l'augmentation rapide et conséquente du nombre d'étudiants, la mondialisation et ses répercussions tant sur le plan politique, social et économique, et les fortes réticences observées par une partie de la communauté universitaire nationale envers la reforme LMD. Le recteur est généralement le principal responsable de la planification stratégique de l'établissement, de son développement et de son organisation, ainsi que des activités de gestion et de contrôle. Il est au sommet de la pyramide de la prise de décision au niveau de l'université. Ceci lui confère de larges prérogatives, et fait de lui un acteur incontournable dans la vie universitaire. Mais paradoxalement, ce qui fait la force d'un recteur chez nous se révèle souvent être son talon d'Achille. Il évolue la plupart du temps dans un environnement soumis à des facteurs exogènes difficiles à maîtriser. Force est de constater aussi que la durée du mandat d'un recteur est extrêmement instable et aléatoire. À titre d'exemple, l'UBBA a vu le passage d'un recteur qui a présidé aux destinées de l'université pendant 9 longues années, alors que son successeur a jeté l'éponge au bout de...9 mois. Dans certains pays développés, le recteur est désigné par les acteurs internes à l'établissement, mais sa nomination est du ressort d'une autorité externe, telle que le ministère de tutelle ou le chef de l'Etat. Les pouvoirs de décision sont repartis entre le recteur et le président du conseil d'administration dont les membres sont extérieurs à l'université. Ce mode d'organisation est comparable au modèle américain. Dans d'autres pays, le conseil d'administration compte une majorité de représentants extérieurs venant du monde des affaires, de l'industrie et de l'administration régionale. En outre, la présidence du conseil d'administration est confiée, non pas forcement à un universitaire, mais à une personnalité extérieure reconnue, très qualifiée et expérimentée. Comment assurer une gouvernance des établissements d'enseignement supérieur et garantir leur indépendance et leur dynamisme tout en favorisant la réalisation d'objectifs économiques et sociaux essentiels ? Il faut tout d'abord que cette bonne gouvernance permette l'existence d'organes de direction pérennes et légitimes, qui feront l'objet d'une large adhésion de la communauté universitaire. Les décisions prises, par exemple par le conseil d'administration ou le conseil scientifique ne peuvent pas être remises en cause du jour au lendemain, dans le cas d'un changement de recteur. Dans ce cadre, il faudrait envisager de nouveaux modes de gouvernance qui associent la tutelle de l'Etat et les forces du secteur socio-économique selon des modalités nouvelles. Les universités se verraient accorder une plus grande autonomie pour gérer leurs propres affaires. Les fonds publics seront alloués sous forme de "dotations globales", en plus d'un financement propre de l'université obtenu à travers des services ou des contrats de recherche en direction des entreprises et du secteur socio-économique. Il est évident que le gouvernement aura toujours la primauté sur toutes les décisions et engagements de l'université, en indexant les financements aux performances et à la qualité, qui fera l'objet d'une évaluation cyclique et publique. Les établissements d'enseignement supérieur doivent s'évertuer de répondre aux critères en matière de financement et de réglementation tout en renforçant leur position sur le marché. Le modèle convenable d'une nouvelle gouvernance des universités est de type collégial et consultatif et se caractérise par des instances à large participation et globalement représentatives. Il faut aussi revoir l'organigramme de gestion de l'université qui est devenu obsolète. Ceci passera par la création de nouveaux vice-rectorats, en plus de chargés de mission qui seront capables de suivre les mutations de l'université et de répondre à de nouvelles exigences. La révision du statut de l'enseignant-chercheur est indispensable pour mettre fin, par exemple, à la confusion entre les prérogatives de responsables pédagogiques importants comme les chefs de domaine, les chefs de filière ou les chefs de spécialité. Force est de reconnaître aussi la répulsion et la grande aversion des enseignants envers les postes de responsabilité au niveau des départements et des facultés. L'éclatement du secrétariat général de l'université en plusieurs entités séparées devient une nécessité. Celui-ci détient actuellement en son sein une multitude de services qui pénalisent lourdement la gouvernance de l'université. Le ministre a eu raison de rappeler lors de cette conférence que "les meilleurs diplômés ne seront pas forcement de bons enseignants''. Ils ne seront pas pour autant de bons dirigeants et des responsables chevronnés à l'université. Il faut donc promouvoir la formation des responsables aux outils de management modernes pour combler les insuffisances de la gestion administrative actuelle des universités. L'université doit constituer l'exemple à suivre dans la bonne gouvernance pour toute la société. Les traditions universitaires qui y existent sont séculaires et le permettent amplement. En effet, les conseils scientifiques ont toujours été des organes élus. On peut étendre ce principe à la désignation du recteur ou des doyens. L'autorité du MESRS, qui aurait tout à y gagner, ne sera nullement remise en cause dans ce processus, qui va lui assurer un droit de regard et une position d'arbitre en cas de conflit ou de dépassement. On ne peut se satisfaire à ce sujet du statu quo actuel qui est délétère, largement responsable de la crise larvée que connaissent certains établissements depuis des années. Un autre facteur de sclérose, tout aussi puissant, qui menace le développement de l'université est la propension des universitaires au repli sur un soi-même corporatiste. Ce modèle aura pour conséquence de renforcer la position consensuelle du chef d'établissement et le conforter ainsi dans ses choix et dans sa politique. Ces changements peuvent bien sûr, créer des tensions et pourront difficilement être acceptés. Les établissements d'enseignement supérieur doivent se montrer alors imaginatifs en trouvant un juste équilibre entre la mission universitaire et les pouvoirs de décision d'une part, et la viabilité financière et leurs valeurs traditionnelles d'autre part. Ils doivent concilier aussi la recherche de l'excellence et le développement de l'équité. Dans le contexte de l'économie du savoir et du progrès multidimensionnel de la nation, les enjeux sont grands. (*) Ancien vice-recteur de la pédagogie de l'UBBA - Docteur d'Etat ès sciences