Le Chef du gouvernement rappelle à l'ordre les entreprises publiques face à une augmentation de l'endettement du pays. Le ministre des Finances est désormais le seul chargé d'autoriser et de mener les négociations pour l'accès à ce crédit. C'est en pleine chaleur de l'été 2004 que le chef du gouvernement a concocté deux circulaires secrètes. La première, rendue publique par Liberté, interdit aux entreprises publiques de placer leur argent dans les banques privées. La seconde, dont nous détenons une copie datée du 29 juillet, stipule que le feu vert dans la mobilisation de crédits extérieurs pour les projets d'équipements publics, ainsi que l'introduction de requêtes auprès des prêteurs extérieurs, qu'il s'agisse d'institutions financières internationales, de gouvernements ou de banques étrangères, relève désormais du ministère des finances. Ce dernier est chargé seul de mener les négociations en vue de conclure des accords de prêts pour le compte d'entreprises ou d'institutions publiques. L'article 3 de la circulaire énonce que les “financements extérieurs mobilisables au cours d'un exercice budgétaire sont compris dans les crédits de paiement annuel”. Ce qui veut dire qu'ils sont budgétisés dans un souci en principe de transparence. Le 4 août 2004, le chef du gouvernement adresse une décision plus motivée, dans la foulée des deux circulaires, aux entreprises publiques. Dans ses directives, Ouyahia souligne que le ministère des finances est mandaté comme seule autorité pour apprécier l'opportunité du recours à un crédit extérieur, mener sa négociation et en conclure l'accord. La motivation de cette interpellation est liée à des dérapages dans l'endettement extérieur. “Sonatrach a contracté un crédit extérieur auprès d'une banque européenne pour financer sa part dans un projet de développement de gisement au lieu de recourir à ses ressources propres. Une autre entreprise publique a contracté un crédit onéreux auprès de la banque africaine de développement”, confie une source bancaire proche du ministère des Finances. 5 milliards de dollars d'endettement supplémentaires C'est donc suite à des dérapages dans l'endettement extérieur qu'un Conseil du gouvernement s'est tenu le 28 juillet. Le rappel à l'ordre met en avant les catastrophes financières qu'a connues l'Algérie. “Il importe de ne pas oublier les leçons douloureuses de l'endettement extérieur”, est-il noté. Allusion notamment à la situation de 1993 où l'Algérie n'avait pas de quoi payer un bateau de blé. “Cet endettement n'a pas été uniquement le résultat de la rareté des ressources nationales, mais il a été également la conséquence de la démultiplication des intervenants, qu'il s'agisse des entreprises ou des administrations publiques”, poursuit la directive. Elle note la tendance à une augmentation du recours aux crédits extérieurs par les sociétés publiques et privées, banques et administrations. En 2000, l'Algérie a contracté 914 millions de dollars de crédits. Le volume de prêts extérieurs passe à 1,120 milliard de dollars en 2001, 1,400 milliard en 2002. Il culmine à 1,906 milliard de dollars en 2003. Au total, l'Algérie s'est endettée pour 5,340 milliards de dollars supplémentaires. Le chef du gouvernement relève un paradoxe étrange : “Cette situation [du recours en augmentation aux crédits extérieurs] se développe, alors que notre pays dispose d'importantes ressources [en devises et en dinars], qu'il s'agisse de réserves de change appréciables ou qu'il s'agisse de milliards de dinars de liquidités détenues par les banques de la place.” Le chef du gouvernement encourage le lancement d'emprunts obligataires tels que ceux d'Air Algérie (600 millions de dollars mobilisés) pour financer l'acquisition d'avions neufs ainsi que la gestion active de la dette. À ce propos, “un remboursement par anticipation a été effectué au profit d'une institution internationale dont les coûts étaient très élevés. Il serait donc incohérent de solliciter de nouveau cette institution pour le financement de projets de développement”. Allusion à la Banque africaine de développement. Enfin, la directive d'Ouyahia relève que tout projet d'équipement depuis 2003 est financé par le budget. À charge pour le ministère des finances de conduire, si nécessaire, la mobilisation de crédits extérieurs concessionnels (avantageux). Elle souligne que tout crédit extérieur mobilisé fait partie de crédits budgétaires et ne constitue pas un financement complémentaire. Ainsi, les deux circulaires secrètes d'Ouyahia répondent à des urgences : empêcher tout nouveau scandale du genre Khalifa, mettre à un holà à un recours facile et exagéré au crédit extérieur. Mais les deux textes violent des principes de l'économie de marché. Le premier casse la concurrence dans le secteur bancaire. Le second transgresse également le principe d'autonomie des entreprises publiques, consacrée par les réformes de 1988 et fait peu de cas des prérogatives de la Banque d'Algérie en matière de maîtrise de l'endettement extérieur. À moins que nous baignions dans une économie “immature” où les décisions et les actes des entreprises restent peu réfléchies, irrationnelles. Elles ont besoin d'être orientées, voire “fouettées”. Mais ne mettons pas à travers de telles décisions toutes les entreprises dans le même panier. N. R.