Elles considèrent que le projet est vidé de sa substance à travers le maintien d'une telle disposition qui fige la femme algérienne dans le statut de mineure. Après avoir milité pendant une vingtaine d'années pour l'annulation du code de la famille, voté par l'Assemblée nationale FLN en 1984, les animatrices du mouvement féminin ont accepté de tempérer leurs exigences. Les amendements proposés par la commission mise en place par la chancellerie durant l'hiver 2004 constituaient, à leurs yeux, une avancée qui augurait d'une volonté ferme du premier magistrat du pays de réhabiliter la femme algérienne. Bien que maigres, les modifications suggérées laissaient espérer des changements plus déterminants. Or qu'elle n'a été la surprise de l'ensemble des représentantes des associations féminines en constatant hier que le président de la République est revenu sur l'un des engagements pris. Dans un discours prononcé à l'occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 Mars dernier, il s'offusquait du maintien de la tutelle matrimoniale. Mardi soir, à l'issue d'un Conseil des ministres marathonien, il entérinait cette conception très archaïque, contraignant la femme sur le point de signer son contrat de mariage de se faire accompagner d'un tuteur. “Nous sommes choquées. Ce qu'on pensait être une petite avancée est remis en cause. Notre déception est grande d'autant plus que le tutorat est l'une des dispositions les plus contestées par les islamistes. Le Président a commis une grave concession. Il a vidé le projet d'amendement du code de la famille de ce qu'il avait de plus important. Sinon que reste-t-il d'autre ? Bien que soumise à l'autorisation du juge, la polygamie est maintenue”, commente Mme Bellala, présidente de l'association SOS femmes en détresse. Un profond sentiment d'amertume se dégage des réactions des autres défenseuses de la cause des femmes. Nadia Aït Zaï, sociologue, voit dans la prorogation de la tutelle matrimoniale un net recul. “Nous restons dans l'esprit de la loi de 1984. Même si le principe est nuancé et permet à la femme de se marier. Il n'en demeure pas moins qu'elle doit conclure son contrat conjugal en présence d'un tuteur. Comment se matérialisera cette présence ? L'officier de l'état civil fera-t-il signer le tuteur ?” s'interroge la militante. Selon elle, cette disposition — pourtant avalisée par le Conseil de gouvernement — remet tout en cause. “Elle lève le voile sur un compromis fait sur le dos des femmes et donne raison aux islamo-conservateurs — qui ont hurlé à l'hérésie dès l'annonce de la suppression du tutorat”, pense Mme Aït Zaï. De son avis, l'argument religieux ne tient pas la route. “Dans le droit musulman, rien ne dit que la femme doit avoir un tuteur pour contracter une union matrimoniale. La confirmation d'une telle obligation va à l'encontre du bons sens”, s'élève notre interlocutrice. De son côté, Mme Ouared estime que le maintien de la tutelle constitue une humiliation à celles qui, hier, ont combattu le colonialisme et ont résisté dans un passé plus proche au terrorisme. “Les femmes ont démontré qu'elles sont majeures”, tonne la présidente de l'Association de défense et de promotion des droits des femmes (ADPDF). Pour elle, il “est déplorable” que les pouvoirs publics s'engagent sur une chose, puis se rétractent. “Est-ce dû à la pression des islamistes ?” se demande-t-elle. En tout cas, l'annulation du tutorat était l'un des rares amendements qui, à ses yeux, valait la peine d'être applaudi. “Hormis l'octroi d'un logement à la femme ayant la garde de ses enfants, les autres modifications ne sont pas de grande valeur. Au chapitre de la tutelle parentale, la maman est tutrice uniquement en cas d'absence du papa. Par ailleurs, la polygamie est toujours une épée de Damoclès. Même si le mari doit dorénavant obtenir l'autorisation du juge pour contracter d'autres unions, l'avis de la ou des épouses antérieures ne constitue guère un frein, surtout si elles doivent leur subsistance à l'époux”, fait observer Mme Ouared. Son unique leitmotiv se réfère à la lutte en faveur de l'abrogation du code de la famille et son remplacement par un code civil. Cette détermination est relayée par Kheira Dekali, membre du bureau national du Rassemblement algérien des femmes démocrates (RAFD). “De toute façon pour nous, les amendements proposés sont de la poudre aux yeux. Ils font partie d'une série d'engagements non tenus. Cela dénote un manque de volonté politique”, souligne Mme Dekali. Elle estime que le cadeau qui a été fait aux islamo-conservateurs en 1984 leur est restitué, après une brève et illusoire mise sous hypothèque. “Aujourd'hui, il faut faire un choix : soit on appartient à une République, soit à une autocratie”, stipule la représentante du RAFD. Profondément déçue, elle préconise de “ne plus faire confiance aux pouvoirs publics”. S. L.