Racim se lève et va ouvrir la porte d'entrée. Sa mère était enfin revenue. Il l'avait attendue l'après-midi durant, et s'était juré de ne pas quitter les lieux avant de connaître l'aboutissement de cette visite qu'elle venait de rendre à la famille dont elle lui avait parlé. Une famille d'anciens émigrés, qui s'étaient installés au quartier mitoyen du leur, et où elle avait repéré Narimène. Des journées durant, elle lui avait rebattu les oreilles sur la beauté de cette jeune et jolie fille qu'elle ne comptait pas "perdre". Racim frôlait la quarantaine, et jusque-là il ne s'était pas donné trop la peine pour connaître une fille, ou lier ne serait-ce qu'une amitié avec la gent féminine. Il avait toujours été pris dans l'engrenage de ses affaires. Le grand patron, comme l'appelaient ses employés, n'avait pas de temps à perdre pour courir le jupon. Et pourtant, il commençait à ressentir un grand vide dans sa vie. Rien ne lui manquait certes, mais il ressentait davantage sa solitude lorsque des amis l'invitaient à des fêtes de mariage et autres heureux événements. -Tu n'es pas sorti de la journée ? Il secoue la tête. -Non, maman. Je t'attendais. Elle rit. -Tu es aussi impatient que ça ? -Non ! Tu as discuté avec les parents de la fille ? -Oui. Ils étaient charmés par mon intérêt pour leur fille aînée. -Et la fille ? -Je ne sais pas trop. Elle est venue servir le café, puis s'est esquivée. Mais je peux t'assurer qu'elle est d'une beauté à couper le souffle. -Tu me l'as déjà dit. Cependant, elle doit avoir son mot à dire dans une affaire qui touche à son avenir. Le mariage est une chose trop sérieuse, et je n'aimerais pas avoir à affronter une situation complexe. Peut-être qu'elle a quelqu'un d'autre dans sa vie. Keltoume secoue encore la tête. -Tu n'y penses pas, mon fils. Narimène est née sous d'autres cieux. Lorsque ses parents ont déménagé pour rentrer définitivement au bled, elle n'avait pas encore dix ans. Aujourd'hui, elle en a vingt-cinq et vient de terminer ses études. -Ce qui pourrait supposer qu'elle serait en relation avec un jeune de sa promotion. À l'université, les idylles se nouent facilement. -Cela n'a pourtant pas été le cas pour toi. Racim soupire. -Moi ? J'avais un seul but dans la vie : décrocher mon diplôme et reprendre les affaires de mon père. Tu te rappelles, maman ? Sa maman se débarrasse de son voile avant de tirer une chaise pour s'asseoir. Ils étaient dans la cuisine, et elle demanda à son fils de mettre la cafetière sur le feu. -Lorsque tu parles de ton père, j'ai tout de suite l'impression qu'il est encore là. Tu lui ressembles tant, Racim. Le jeune homme dépose deux tasses sur la table et verse un café à sa mère, avant de se servir lui-même, puis lance : -Revenons à notre sujet maman. Cette fille est comment ? Keltoum sourit. -Elle est splendide. Je suis certaine qu'elle te plaira. -Et moi ? Tu es certaine que je vais lui plaire ? -Quelle question ! Bien sûr que tu vas lui plaire. Que te manque-t-il donc ? Tu n'es ni borgne, ni handicapé, ni malade. Tu es un homme accompli, instruit et très charmant. Racim passe une main dans ses cheveux. -Je suis peut-être trop vieux pour elle. -Vieux ? Tu fabules, mon fils. Un homme n'est jamais trop âgé pour prendre femme. Et puis, elle non plus n'est pas très jeune. À son âge, j'étais déjà mère de famille. (À suivre) Y. H.