Le film "Le puits" de Lotfi Bouchouchi a été sélectionné par la commission algérienne aux Oscars 2017, dans la catégorie "Films étrangers". Pour être pris en considération par les électeurs américains, le film doit bénéficier d'une campagne de promotion aux USA (projection, publication dans les médias...). Dans cet entretien, le réalisateur est revenu sur sa stratégie sans moyens financiers, mais basée sur la médiatisation et des projections en Algérie, pour attirer l'attention de l'Académie des Oscars. Liberté : La commission algérienne présidée par Lakhdar Hamina a sélectionné votre film "Le puits" aux Oscars 2017, pour participer dans la catégorie "Films étrangers". Mais, pour accompagner la promotion du film aux Etats-Unis, la démarche nécessite des moyens financiers et humains conséquents. Comment comptez-vous procéder pour la réussite de ce projet ? Lotfi Bouchouchi : Après l'annonce de la retenue du film Le puits par la commission algérienne de sélection aux Oscars 2017, j'ai réalisé quelques démarches. Mais, le grand souci est que nous sommes très en retard. Car, certains films ont déjà été distribués aux Etats-Unis, et il y a eu un travail de distribution et de sensibilisation qui a commencé en avril et en mai, juste après les festivals de Cannes, de Berlin... Cela est réalisé par de grosses pointures et des lobbyings du cinéma allemand, juif et hispanique. Nous ne pouvons pas jouer dans la même cour, en revanche, nous pouvons créer la surprise avec un film différent par rapport aux autres. Et je pense que Le puits a toutes ses chances dans ce sens-là. Je pense qu'il a plu, puisqu'il a remporté plusieurs prix dans différents festivals, même si ce ne sont pas de grands festivals, ce sont tout de même des festivals où il y a de bons films. Ce sont des festivals qui se positionnent. Sauf que nous n'avons pas de distribution, donc nous ne pouvons pas aller très loin et nous n'avons pas beaucoup de choses entre les mains. Alors, nous allons mettre en place une stratégie, en faisant aimer le film aux Algériens, mais aussi en faisant en sorte qu'ils le soutiennent. Le mois prochain, nous allons travailler sur la distribution pour présenter le film à tous les Algériens, et nous espérons créer un engouement. Cela pourrait attirer l'attention des électeurs qui sont aux Etats-Unis et qui votent pour les Oscars. Avez-vous fait appel au ministère de la Culture ou à des sponsors pour cette campagne ? Il n'y a pas un seul organisme qui puisse sortir la somme de 300 000 ou 500 000 dollars, et le ministère de la Culture n'a pas cette somme. Dans un pays, il y a différents ministères, différentes entreprises. Je pense qu'au lieu qu'une seule grosse entreprise remette le chèque, il vaudrait mieux que les gens soient citoyens et les entreprises citoyennes, et que chacun donne ce qu'il peut. Car, c'est l'Algérie qui participe aux Oscars, et non pas le film, le réalisateur ou le producteur, et l'idée est là. Nous sommes en période de crise ; les liquidités ne sont pas disponibles, alors pourquoi ne pas impliquer tout le monde. Nous pouvons trouver cette somme-là, ce n'est rien du tout 300 000 ou 500 000 dollars, et en même temps, c'est beaucoup. Ce n'est rien quand il y a une dizaine ou une cinquantaine d'entreprises qui contribuent à mettre une petite somme. Ce n'est rien, car cela représente l'Algérie, ce n'est rien parce que les autres films qui ont des distributeurs mettent des sommes aussi importantes, si ce n'est plus ! Je pense qu'au lieu que ce soit l'Algérie qui le mette à travers les ministères, chacun doit soutenir le film à son niveau, comme les différents ministères impliqués, à l'exemple des Affaires étrangères par le biais de l'ambassade d'Algérie à Washington, le ministère de la Culture en incitant un peu les uns et les autres, et en soutenant également financièrement, et ce, dans l'optique de montrer la voie aux autres. Par exemple, si nous ne trouvons pas de salles de cinéma dans certaines villes, l'idée est d'impliquer les directions de la culture et les maisons de jeunes. Nous allons mettre en place une stratégie et aussi une équipe qui va suivre cela au quotidien. Cela va durer deux mois, et durant ce temps, il faut que l'Algérie adhère au film, pour dire à ces électeurs américains que cette œuvre est soutenue par tout un peuple. Si nous dépassons les 500 000 spectateurs, c'est quand même une chose qui n'a jamais été faite en Algérie, et cela pourrait attirer l'attention des électeurs américains. Nous n'avons pas les moyens, et nous avons besoin d'argent parce que nous n'avons pas de distributeurs, et même si nous avions un distributeur maintenant, ce serait trop tard ! Nous allons donc faire le travail du distributeur. D'ailleurs, j'ai eu un entretien avec le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, et nous allons initier cette campagne ensemble. Avec mon équipe, je vais mettre en place la stratégie, et le ministre est partant pour jouer le jeu et nous soutenir dans une campagne de sensibilisation en Algérie pour rayonner à l'étranger. Pour que le film soit regardé, il faut que les télés et les journaux nous suivent pour relayer l'information que nous allons donner, afin que les gens puissent voir le film. Il faut qu'il y ait un engouement et ne pas hésiter à payer sa place, et ce, pour soutenir le film. Nous n'avons plus le temps, c'est pour cette raison que je veux passer par les médias pour parler directement aux gens, je vais également demander du soutien à des amis et à des personnalités pour attirer l'attention comme Souilah et Nabil Asli, je pense que cette démarche suscitera l'intérêt de la population pour qu'elle adhère à l'idée d'aller voir le film et, de ce fait, attirer les électeurs. Nous allons essayer avec notre film intimiste de dire, nous y arrivons.
Votre film a reçu de nombreux prix à l'étranger, tandis que le public algérien n'a pas eu l'occasion de le découvrir en salles. Comment comptez-vous le diffuser dans les villes du pays, alors qu'il y a un réel problème de distribution ? La distribution elle-même n'existe pas. Nous avons perdu l'habitude d'aller voir des films dans les salles obscures durant la décennie noire. Aussi, il faut rappeler que les salles sont dans un état lamentable, les films ne sont pas renouvelés, nous n'avons pas de production nationale... Comment voulez-vous qu'il y ait une distribution ? Les distributeurs fonctionnent avec tout le reste, avant de parler de distribution, il faut avant tout parler d'une économie de cinéma, parce que le cinéma en soi est une économie lente et elle doit être soutenue comme n'importe quelle autre économie, parce que les montants des recettes sont un peu plus lents, il y a des risques plus importants que dans une autre économie. Il faut aussi qu'il y ait des producteurs qui réalisent des films de qualité, des techniciens pour faire ces films... Aujourd'hui, nous n'avons pas de cinéma algérien, mais des films algériens. Pour moi le cinéma est une économie et tout un ensemble de choses qui font que nous pourrions vivre de cela, l'un appelle l'autre, et l'un alimente l'autre. Ce n'est pas évident de dire si nous avons un cinéma ou pas ! Ce n'est pas parce que nous avons 10 films, que nous avons un cinéma. Sur les 90 films proposés, il y en aura seulement 5 qui seront nommés pour les Oscars. Il faut espérer être parmi les premiers. C'est déjà positif et ce sera une victoire pour moi d'être présent aux Oscars, et que le film représente l'Algérie, ce serait énorme. Nous irons loin, si les Algériens soutiennent ce film.