Résumé : Issue d'une famille conservatrice, Narimène refuse de sortir avec Racim. Ce dernier est indigné. Après tout, elle était universitaire et devait avoir l'esprit plus ouvert. Elle renchérit que lui aussi avait fait des études supérieures, et pourtant c'est sa mère qui s'occupait de son avenir. Il se tut quelques secondes, puis reprend : -Pourquoi nous attarder sur le sujet. Nous savons tous les deux qu'il est impensable pour un jeune couple de notre génération d'unir son destin sans avoir auparavant pris la peine de se connaître un minimum soit-il. Si tu ne veux pas d'une sortie entre nous, je ne vais pas t'en blâmer. Considère cette proposition comme facultative. Toutefois, je me verrais dans l'obligation de te demander de trouver une autre solution. Allons-nous continuer à nous appeler ainsi et à entamer des discussions jusqu'à épuisement ? C'est ce que tu veux Narimène ? La jeune fille ne répondit pas. Racim la sent hésitante. Pourtant elle devrait donner son opinion. Il poursuit. -Tu n'es pas obligée de donner une réponse tout de suite. Nous pourrions nous rappeler demain soir à la même heure. Qu'en dis-tu ? -Oui. Pourquoi pas ? J'attendrai ton coup de fil, Racim. -Vraiment ? -Vraiment. J'attendrai ton coup de fil. Ils raccrochèrent. Narimène se laisse aller sur son lit et ferme les yeux. Depuis ses dix-huit ans, elle n'avait cessé de recevoir des prétendants. En sus, elle avait connu quelques jeunes gens à la faculté et s'était fait beaucoup d'amis parmi les étudiants de sa promotion. Mais aucun homme n'avait pu accrocher son cœur. Pourtant, il y avait eu Zoubir. Son cœur se met à palpiter à son évocation. Zoubir n'était pas un camarade de promo. Il était professeur de lettres. Un homme qui lui avait semblé bien en tous points. Enfin, elle le croyait. C'était quelqu'un qui appréciait ses poèmes et l'aidait dans ses études. Lorsqu'il lui avait proposé de l'épouser, elle était tombée des nues. Jamais elle n'aurait cru qu'un homme aussi cultivé que lui allait s'intéresser une petite rêveuse comme elle. Mais sa mère Noria était persuadée que c'était l'homme qu'il lui fallait. Jour après jour, il l'avait épaulée et s'était montré tellement intentionné envers elle qu'elle n'hésita plus à lui donner son accord. Ils s'étaient rapidement fiancés. Les parents de Zoubir, qui habitaient une ville de l'intérieur, s'étaient déplacés pour la circonstance. Elle avait pourtant cru décerner une gêne dans leur comportement, mais s'était dite que c'était peut-être le fait qu'ils étaient encore des étrangers à ses yeux. Plus tard, sa mère Noria avait balayé tous ses doutes. Zoubir était quelqu'un de bien. Il avait un bon poste et un logement de fonction. Qu'importe si elle n'avait pas encore terminé ses études. Elle ferait mieux de se marier rapidement, puis de penser à passer ses examens de fin d'année. Il lui restait certes encore deux années pour décrocher son diplôme, mais elles passeront très vite, et elle pourra songer plus tard à se stabiliser et à faire des enfants. Narimène avait cru à l'amour et avait rêvé. Ses fantasmes la ramenaient souvent à ces histoires à l'eau de rose qu'elle dévorait à son adolescence. Comme pour les héroïnes de ces récits, l'amour pourrait exister pour elle aussi. Elle l'avait réellement cru. Et depuis qu'elle s'est fiancée, elle ne pensait plus qu'aux merveilleux moments qu'elle allait bientôt vivre dans les bras de son bien-aimé. Pour le moment, elle ne l'aimait pas encore au point de laisser le monde entier pour lui, mais cela viendra sûrement, et bien plus tôt qu'elle ne le pense. Mais rien n'était venu. Absolument rien. Zoubir s'était avéré un être perfide qui s'était déjà marié plusieurs fois et qui avait fait plus d'une malheureuse. Il ne voyait donc en elle qu'une femme qu'il pourra soumettre à ses volontés les plus perverses. Qui lui avait déjà parlé de lui en ces termes ? Elle ne se rappelait plus. Cela s'était passé un après-midi de fin d'année, alors qu'elle s'était rendue à la bibliothèque de l'université pour prendre un livre. Zoubir qui ne l'avait pas vu arriver était en pleine discussion avec une enseignante. Il lui avait paru bien plus à l'aise avec cette femme qu'il ne l'était avec elle. Etait-ce une illusion ? Il lui avait même pris la main pour la porter à ses lèvres. Narimène s'était frotté les yeux. Avait-elle bien vu ? Elle s'était détournée pour fuir cette image qui s'imposait à elle, et s'était heurtée à quelqu'un. Un jeune homme de la faculté des lettres qu'elle croisait de temps à autre sur les lieux. Il lui avait gentiment souri, avant de faire un clin d'œil en direction du couple qu'elle était en train de contempler. -Il est pareil à lui-même. N'est-ce pas ? -Je ne sais pas. Je ne le connais pas bien (s'était-elle entendu répondre comme dans un brouillard). -Tu ne connais pas Zoubir ? On l'appelait dans le temps Zorba le Grec. -Pourquoi ? Parce qu'il danse le sirtaki ? (À suivre) Y. H.