Kouider Boutaleb estime dans cet entretien qu'il faudrait, sans doute, reconsidérer l'hypothèse de taux de change formulée pour l'établissement de la trajectoire budgétaire 2016-2019. Liberté : Le "Nouveau modèle de croissance économique et trajectoire budgétaire 2016-2019" n'a pas encore été rendu public par le gouvernement, mais l'Exécutif en a déjà transposé quelques dispositions dans le projet de loi de finances 2017. Au plan de la forme, un modèle de croissance économique s'étale sur plusieurs années.... Kouider Boutaleb : À quoi nous faisons référence lorsque nous parlons de modèle de croissance économique ? Si on considère que les modèles de croissance servent à établir des prévisions sur l'activité économique, proposer des politiques économiques, présenter des arguments raisonnables afin de justifier les politiques économiques des pays, on peut légitimement s'interroger sur ce qualificatif dans le contexte qui est le nôtre. Au plan de la forme, le "Nouveau modèle de croissance économique et trajectoire budgétaire 2016-2019", tel qu'il est intitulé et présenté en deux volets (le premier traite du cadrage de la politique budgétaire 2016-2019, le second du "nouveau modèle de croissance économique", il s'agit selon les descriptions fournies par ceux qui ont pu avoir accès au document, de la présentation des éléments de cadrage (diagnostic) d'un nouveau "modèle" de croissance économique pour l'horizon 2030. La période 2016-2019 est perçue et considérée comme une période de transition qui prépare la mise en place du nouveau "modèle".
Les projections budgétaires 2016-2019 sont bâties, dans le "Nouveau modèle de croissance économique", sur des hypothèses discutables. Ainsi, l'ajustement budgétaire est basé sur, entre autres, un prix du baril à 50 dollars en 2017, 55 dollars en 2018 et 60 dollars en 2019 et sur un taux de change de 108 DA pour un dollar. Est-ce réaliste ? Un modèle ne vaut que par ses hypothèses, si celles-ci reflètent la réalité et induisent, par conséquent, des choix rationnels en matière de politique économique notamment dans ses aspects budgétaires, l'application du modèle ne peut être qu'efficiente. Dans les travaux de projection, on formule souvent des hypothèses à partir des données actuelles mais aussi sur des pronostics sur l'avenir. Dans le cas présent, les deux principales hypothèses concernant l'ajustement budgétaire sont celles sur le prix du pétrole et du taux de change. Pour ce qui est du prix du pétrole à l'exportation, il est estimé se fixer à 50 dollars en 2017, à 55 dollars en 2018 et à 60 dollars en 2019. Sur quelles bases ces estimations ont-elles été faites ? Ces estimations sont elles réalistes ? Il semblerait, de l'avis des experts et des institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale et l'OCDE, qu'elles le soient. Prenons acte. Ce qui l'est moins serait selon beaucoup d'observateurs, l'hypothèse sur le taux de change (108 DA pour un dollar) dans la mesure où cette parité est déjà dépassée depuis quelque temps déjà (109,80 DA pour 1 dollar). Si on considère que le taux de change joue un rôle important en matière d'ajustement des recettes (impact sur les prix et les quantités ), il faudrait sans doute reconsidérer cette hypothèse (vu les nombreux facteurs concourant à la fixation de la parité d'une monnaie), ce qui provoquerait de nombreux réajustements. Le déficit budgétaire, le gouvernement projette de le résorber au bout de trois ans, si l'on s'en tient à ce modèle de croissance. Est-ce jouable ? Le déficit du budget de l'Etat, qui a déjà atteint un niveau inquiétant de l'ordre de 15 à 16 % du PIB en 2016, devrait être réduit de moitié et représenter moins de 8% du PIB. Pour l'année suivante, il a été chiffré précisément à 1248 milliards de dinars, soit l'équivalent de près de 12 milliards de dollars, sur la base d'un taux de change de 108 dinars pour un dollar. La réduction du déficit devrait se poursuivre en 2018 et 2019 avec un objectif chiffré de 400 milliards de dinars de déficit en 2019 soit à peine 2% du PIB. Pour réaliser ces objectifs, des mesures sont édictées et chiffrées sur les deux volets du budget à savoir les recettes et les dépenses. Au chapitre recettes, on table d'une part sur un baril à 50 et 60 dollars et non plus sur la base d'un prix de référence de 37 dollars. Cela devrait concourir à une réévaluation rapide des recettes de l'Etat au cours des prochaines années. D'après les prévisions énoncées dans l'avant-projet de loi de finances pour 2017, les recettes budgétaires provenant de la fiscalité pétrolière sont évaluées à 2200 milliards de dinars pour l'année prochaine. Elles devraient être de 2359 milliards de dinars en 2018, avant d'atteindre 2643 milliards de dinars en 2019. Il y aura également la réforme de la fiscalité ordinaire qui va induire des augmentations des taxes et impôts. Au total, les recettes escomptées passeront à 5 635 milliards de dinars en 2017 contre 4925 milliards en 2016. Pour ce qui se rapporte aux dépenses, on table sur une réduction des dépenses de l'ordre de 13,8% par rapport à 2016, pour l'année 2017, ce qui s'élève à 6 883 milliards en 2017, par rapport à 2016 où elles représentaient l7983 milliards de dinars. Tous ces calculs et ces projections sont effectués en termes nominaux. Appréciés en termes réels soulèverait des débats sans fin. Si ces projections se concrétisaient, cela permettrait, comme entendu de réduire sinon éliminer le déficit budgétaire tel qu'envisagé. Si elles ne connaissent pas d'application concrète, compte tenu des nombreux aléas, notamment le manque de coordination et de cohérence en l'absence d'une institution de plein droit capable d'apporter les correctifs nécessaires en cas de déviance ou de conjoncture défavorable, cela aura des conséquences incalculables.
Le gouvernement continue d'affecter davantage de ressources à la consommation et peu à l'investissement. L'Exécutif n'en a pas fait assez pour que cela change. Va-t-il le faire, selon vous, dans le cadre de ce modèle de croissance ? L'investissement est dialectiquement lié au climat des affaires. Il ne peut être relancé et développé qu'a condition de lever les contraintes sur lesquelles butent les investisseurs, autrement dit d'améliorer le climat des affaire qu'exprime le classement dans le Doing Business (l'indicateur composite de la Banque mondiale). La relance de l'investissement national et international relève de ce qui est désormais admis, au-delà de toute considération idéologique, du climat des affaires. Les freins à l'investissement sont connus, il suffit de se référer à l'indice du Doing business pour remarquer la place peu reluisante qu'occupe toujours l'Algérie classée parmi le derniers tiers des pays. Le classement de l'Algérie a toujours été médiocre et se dégrade même de plus en plus si on considère la place occupée durant ces trois dernières années. Le "nouveau modèle de croissance" suggère-t-il de nouvelles mesures opératoires et une nouvelle démarche pour booster l'investissement productif ? On n'en sait rien. Mais peut-on s'attendre à un bouleversement des comportements en matière d'élaboration et d'exécution des politiques publique dans le cadre du système de gouvernance qui prédomine aujourd'hui ? Pour la seule contrainte lié au foncier industriel rappelons que le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, pourtant convaincu de la levée de ce blocage , avait assuré que ce problème du foncier serait "définitivement résolu d'ici six mois", lors de son intervention à la dernière réunion de la tripartite qui s'est tenue à Biskra (2015). Le problème demeure toujours posé à ce jour. Y. S.