La mort troublante en détention de Mohamed Tamalt et l'acharnement judiciaire contre Hacène Bouras montrent, selon cette Ong, que le pouvoir algérien est prêt à tout pour contraindre les médias critiques au silence. Constat sans appel de la part de Reporters sans frontières (RSF) à propos de la situation désarmante des journalistes en Algérie. Dans une conférence de presse organisée jeudi dernier à Paris, l'organisation de défense de la liberté de la presse dans le monde a rendu public le contenu d'une enquête accablante intitulée : "Algérie : la main invisible du pouvoir sur les médias". Ce rapport, réalisé sur la base d'entretiens, de compilation de lois liberticides, de narration d'affaires judiciaires et d'opérations d'intimidation, rend compte de la détermination des autorités à museler les médias, en utilisant tous les moyens. La mort suspecte en détention de l'ancien correspondant d'El Khabar à Londres, Mohamed Tamalt, le 11 décembre dernier, fait notamment craindre à l'ONG une brutalisation des méthodes de répression. Elle a, d'ailleurs, réitéré sa demande d'ouverture d'une enquête indépendante sur les circonstances de la mort du journaliste, et ce, afin que "les responsables soient punis dans les plus brefs délais". Yasmine Kacha, la directrice de RSF pour l'Afrique du Nord, a indiqué que cette requête, si elle n'aboutit pas, servira au moins comme un moyen d'alerte et de mobilisation. Le but étant de sensibiliser, surtout à l'échelle internationale, sur le sort incertain des journalistes en Algérie et empêcher, grâce à une plus grande prise de conscience, que le drame Tamalt ne se reproduise. "Si on laisse passer cette affaire, on aura des cas similaires", a prévenu, pour sa part, maître Noureddine Ahmin dans les locaux de RSF. Il sait de quoi il parle car son client, le journaliste et activiste Hassan Bouras, est en train de dépérir derrière les barreaux. "La prison est devenue dangereuse pour les leaders d'opinion", a déploré l'avocat en indiquant que son client, qui souffre de rhumatismes, dort à même le sol dans une cellule glaciale. Il est privé de visites médicales et les entrevues avec ses proches dépendent du bon vouloir du parquet qui s'acharne à le garder indéfiniment sous les verrous. Depuis 2003, date de sa première condamnation, Hassan Bouras n'a pas cessé d'être harcelé par l'appareil judiciaire. Les prétextes sont divers. En octobre dernier, il a été à nouveau incarcéré pour outrage à corps constitué après avoir rendu publique une vidéo compromettant des policiers ripoux, à El-Bayad. "Il est temps de tirer la sonnette d'alarme. Il faut que les autorités algériennes arrêtent d'utiliser l'appareil judiciaire à des fins politiques", réclame son avocat. De son côté, RSF a lancé une pétition et un hashtag "free Hassan Bouras" pour susciter une plus grande mobilisation autour de la libération du journaliste, qui sera jugé le 8 janvier prochain. Dans beaucoup d'autres cas cités dans son enquête, l'ONG déplore le rôle attribué à la justice pour faire pression sur les médias. Elle cite, notamment, l'affaire de la chaîne de télévision KBC, dont les deux principaux protagonistes, Mehdi Benaïssa et Ryad Hartouf, attendent toujours la décision en appel du tribunal. "En choisissant de recourir au code pénal, les magistrats désavouent complètement le code de l'information de 2012 (qui supprime les peines d'emprisonnement contre les journalistes) et la Constitution", note RSF. Celle-ci évoque d'autres méthodes de harcèlement moins directes, comme les blocages bureaucratiques, surtout à l'égard de certains médias audiovisuels. Très souvent, constate l'ONG, les autorités profitent de l'absence d'une règlementation claire pour censurer ou carrément fermer les chaînes TV qui se montrent un peu trop critiques. Le contrôle de la manne publicitaire figure aussi dans l'enquête de RSF, comme un moyen de pression sur la presse. Yasmine Kacha a évoqué à ce propos la mise en place par le ministère de la Communication d'un cercle vertueux (vicieux) de l'éthique qui commande aux patrons de presse de respecter les lignes rouges pour ne pas se voir privés de rentrées publicitaires. Elle précise que la même ligne de conduite est édictée aux annonceurs, surtout étrangers. "On leur dit de ne pas mettre leur argent dans les médias qui critiquent l'action du gouvernement s'ils veulent faire du business en Algérie", explique la responsable du bureau de RSF Afrique du Nord. Celle-ci observe, par ailleurs, que le pouvoir politique n'éprouve aucun mal aujourd'hui à menacer ouvertement les journalistes et à les intimider en remettant en cause régulièrement leur professionnalisme. Mais à son avis, cette intimité très assumée trahit surtout la panique d'un régime à bout de souffle, ébranlé à la fois par la dégradation de la santé de son Président et de la situation économique du pays, ainsi que les scandales de corruption. Le pays est en ébullition et il ne faut surtout pas soulever le couvercle. Les journalistes ont, par conséquent, obligation de se taire. Résultat, l'Algérie compte parmi les Etats où la liberté de la presse est la plus menacée dans le monde. Elle se trouve au 129e rang sur 180 dans le classement 2016 de RSF. Se servant de ce palmarès comme plaidoyer, l'ONG espère que les choses changent en interpellant directement les pouvoirs politiques dans les pays où la situation des journalistes est la plus précaire. Dans le cas de l'Algérie, elle a émis 14 recommandations dont les plus importantes concernent la décriminalisation de la liberté d'information, la suppression de la censure et l'arrêt des procédures discrétionnaires dans la distribution de la publicité publique aux médias. S. L.-K.